Si je parle seulement maintenant du film atlantique de Mati Diop, plus d’un an après sa sortie et sa récompense du « Grand Prix du festival de Cannes », c’est parce que je viens juste d’avoir l’occasion de le voir. Je suis sorti de la salle amer, très amer, déçu, très déçu. Déçu parce que j’étais rentré dans la salle, enthousiaste, content et disons le avec un brin de fierté.
J’écris cet article avec la conscience que je suis en train de commettre plusieurs ‘’délits’’. D’abord celui d’oser m’attaquer en tant que « parfait inconnu » à un film consacré par un Temple Sacré du Cinéma mondial, et qui puis-je par un article dont le propos n’est pas distillé dans le raisonnement, ou dit entre les lignes, ou par une docte terminologie ou par de savantes expressions, mais plutôt par des mots crus sans mettre des gants et sans fard.
Je suis sorti de la salle déçu, parce que je m’attendais à voir le film décris par Véronique Cauhapé du Journal Le Monde « Au troisième jour du Festival, un océan est venu engloutir puis hanter le bord de mer cannois. Atlantique s’est abattu avec la force d’une marée de pleine lune. Il est ainsi des films qui marquent d’emblée la rétine et occupent l’esprit longtemps après l’avoir touchée».
À la place j’ai vu un ‘’ofni’’ voguant entre un esthétisme (certes merveilleux par moments, mais lassant au bout du compte) et un récit un peu trop chétif et poisseux.
Je suis sorti amer car ce film est un conglomérat de tous les clichés, préjugés et stéréotypes sur l’Afrique d’un Occident décadent, mais qui se prend toujours pour l’épicentre du monde et par conséquent pense qu’il doit en être le seul et unique tropisme.
Le spectre des idées reçues sur l’Afrique étalé par Atlantique est large comme l’océan qui porte ce nom. Il va de la corruption, au mariage forcé, en passant l’émigration clandestine, l’Afrique terre de pauvreté, de misère, et d’exploitation de l’Homme par l’Homme et j’en passe.
J’espère seulement que le film continuera à être vu en Europe en France en particulier et obtiendra un accueil enthousiaste, et des comptes rendus dithyrambiques comme celui de Véronique Cauhapé du journal le Monde. Parce que malgré son aura international, et bien que le Sénégal ait casqué très fort pour sa production, un film de cette nature ne rencontre que très peu l’engouement du public en Afrique, surtout le public des quartiers populeux ou il a été majoritairement tourné, surtout au niveau de la jeunesse, dont il est sensé montrer une voie, et porter la voix. L’exemple de Tey de Alain Gomis est là. Lors de sa projection à l’université de Dakar l’écrasante majorité du public s’en est allé bien avant la fin de la séance.
Mais avouons toutefois que Mati Diop a « réussi » une prouesse, celle de traiter en une seule fois toutes les thématiques chers à l’occident. D’habitude l’occident détenteur de notre bien-pensant cinématographique met en scelle un réalisateur ou une réalisatrice africain (e) le temps de faire quelques grands RV dans le monde du septième art pour ‘’informer’’ par le biais d’un film sur un sujet qui fait l’actualité africaine en occident.
Une personne qui aura eu le film comme premier et seul contact avec le Sénégal n’aura pas du mal à croire qu’il n’y a pas une seule personne intelligente au Sénégal, parce qu’il n’y a simplement pas une personne intelligente dans le film.
Le film est construit essentiellement au tour d’un groupe de jeunes garçons exploités par l’entreprise qui les emplois pour la construction d’une gigantesque tour. Ils finiront par partir par la mer vers des lendemain meilleurs. Hélas ils seront engloutis (par ellipse et annonce) par l’océan. Ils vont revenir pour se réincarner dans les corps des filles qui le jour partent ou reviennent on ne sait où, et qui la nuit vont s’échouer dans un bar dont elles vont être les seules occupantes.
Avec une ouverture (très prometteuse) sur fond d’un réalisme qui frise le documentaire, le film par la suite, comme si la réalisatrice avait perdu la maitrise ira bringuebalant en surfant sur plusieurs genres. Ici il va prendre les contours d’un western, là il va emprunter quelques codes au romantisme, d’autres part il deviendra un polar, tout en étant largement traversé par le fantastique. L’apparente non maitrise de la réalisatrice de son sujet se voit au niveau de la temporalité qui au cours du déroulement du film n’est plus marquée, tant d’un point de vue de l’histoire que de l’apparition des acteurs, au niveau de leur port vestimentaire surtout.
Maty Diop a traité des sujets d’une extrême gravité comme on parle d’un banal fait divers. L’Atlantique a causé quand même la perte de centaines de milliers d’africains, hommes et femmes, de jeunes et de moins jeunes.
En sanctionnant ce film par le grand prix, le festival de Canne et l’Europe ont plus exprimé leur ignorance de la réalité en Afrique et leur mépris pour la vie des africains, qu’ils n’ont distingué un travail singulier qui fait avancer la cause de l’Humanité par le truchement du cinéma.
Le Cinéma mondial ne peut pas ignorer les causes réelles du départ massif des jeunes africains dans des embarcations de fortune au prix de leur vie, ne serait que du fait que justement le cinéma fait partie des causes d’une Europe vue comme un eldorado.
Le Cinéma mondial ne doit pas ignorer le fait que les états africains nés avec les excédents des fonds du plan Marshall, et transfusés par les fonds de la Banque Mondiale et du FMI depuis la fin des trente glorieuses ploient toujours sous les diktats des anciennes puissances coloniales et les institutions de Bretton Woods. Ce qui leurs empêchent bien sûr avec la complicité d’une certaine élite locale corrompue, mais surtout totalement désincarnée, de définir des politiques endogènes en phase avec les besoins réels et l’évolution propre des peuples africains.
Le Cinéma mondial ne doit pas ignorer que l’élément déclencheur de ces vagues massives à l’assaut de l’atlantique est le fait que nos fonds marins ont été raclés par les chalutiers de l’Union Européenne, de la Chine et du Japon, ce qui a poussé nos pêcheurs qui allaient de plus en plus loin en mer et qui revenaient bredouilles de décider de recueillir sur la terre ferme des candidats à l’émigration pour les déposer le long des côtes espagnoles et italiennes.
La musique de Fatima Al Qadin (qui n’est pas sans rappeler par moment celle du père de Maty, Wassis Diop dans Hyene film de son oncle Djibril Diop Mambety), est top.
Nonobstant ces questions de fond, nous sommes en mesure d’affirmer avec le site CinéSérie que : « Mati Diop ne fait pas encore le cinéma à la hauteur de ses ambitions. Atlantique est une tentative prometteuse ».
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