Au printemps 1990, un mouvement de contestation, mené par les étudiants, dont fait partie Laurent Gbagbo, ébranle l’autorité de l’Etat et contraint le gouvernement à retirer un plan d’économie dont les fonctionnaires devaient être les victimes. Ils mettent au grand jour les erreurs de gestion du Trésor public et dénoncent le clientélisme ethnique mis en place par le président. Outre la fin du régime de parti unique, la Côte d’Ivoire se voit aussi imposer par les bailleurs de fonds internationaux et le FMI, les plans d’ajustement structurel qui ont pour objectif de réduire la taille de l’Etat et de rendre les économies africaines plus compétitives, par la déréglementation et la privatisation d’entreprises nationales et l’ouverture au marché mondial. La mise en œuvre de ces plans va échouer empêchant l’économie ivoirienne de bénéficier des conjonctures favorables sur les marchés des matières premières, le pays va alors connaître une crise économique.
La dette publique s’élève à 49 milliards de francs environ et le prix du cacao continue de baisser en raison de la concurrence de nouveaux pays, la Malaisie et l’Indonésie. Pour faire face à ces problèmes d’ordre financier, le président Houphouët Boigny nomme Alassane Ouattara, vice-directeur du FMI, au poste de premier ministre. Une réforme de la Constitution avait prévu de confier au président de l’Assemblée nationale, l’achèvement du mandat présidentiel en cas de disparition mais elle est diversement interprétée ce qui entraîne une lutte de pouvoir entre A. Ouattara, le premier ministre, et Henri Konan Bédié, le président de l’Assemblée nationale, qui finira par l’emporter. A. Ouattara quittera alors le PDCI pour rejoindre l’opposition au sein du Rassemblement des républicains.
Outre cette crise politique, l’économie ivoirienne subit les contrecoups de la dévaluation de 50% du franc CFA de 1994, qui appauvrit une grande partie de la population. C’est dans ce climat fragile que le président H. Konan Bédié va introduire le concept d’ivoirité, lors des élections de 1995, en modifiant le Code électoral, obligeant tout candidat à l’élection présidentielle à faire la preuve qu’il est né de père et mère ivoiriens. Elaboré et théorisé par son entourage, notamment par son directeur de cabinet, Jean-Noël Loukou, historien, ce principe poursuit avant tout un but politique, celui de justifier l’exclusion d’A. Ouattara de la course électorale formulant des doutes sur sa nationalité ivoirienne, même si, pour son auteur, il s’agissait de « forger une culture commune pour tous ceux qui habitaient sur le sol ivoirien, étrangers comme nationaux».
À la fin des années 1990, l’Etat apparaît incapable de remplir ses fonctions régaliennes et les fonctionnaires sont de plus en plus mécontents car ils ne reçoivent plus leurs salaires. C’est dans ce climat de crise économique et politique et de montée de la xénophobie que l’histoire de la Côte d’Ivoire va basculer le 24 décembre 1999 et plonger dans une spirale de violence. Le pays, que certains considéraient comme la Suisse de l’Afrique connaît pour la première fois de son histoire, un coup d’Etat qui porte au pouvoir le général Robert Gueï et contraint le président déchu à l’exil en France. Ouattara et le FPI de L.Gbagbo notamment, acceptèrent de légitimer cette opération, espérant pouvoir tirer parti de la situation à leur propre bénéfice.
« Les règles de la démocratie seront respectées » promet celui qui veut donner « un coup de balai » dans le système politique ivoirien. Le discours xénophobe est amplifié et R. Gueï sanctifie la « chasse aux allogènes », en particulier dans la « boucle du cacao », située dans l’ouest du pays, où la présence de nombreux étrangers pose un problème foncier réel. C’est la région la plus riche du pays, comprise entre Daloa et le port de San Pedro. Elle consacre l’exploitation du concept d’ivoirité dans le jeu politique.
Un courant ultra nationaliste se forme le « Tout sauf Ouattara. » Des campagnes de presse sont conduites qui, mettant en cause la nationalité ivoirienne de Ouattara, exacerbent les inquiétudes de populations qui se sentent de ce fait rejetées, comme leur chef, de la vie publique. Malgré tous ses efforts et après s’être autoproclamé président, R. Gueï ne sera pas reconnu vainqueur de cette élection et c’est L.Gbagbo qui devient président de la République, obtenant 59,36% des voix avec une très faible participation de 37,42%. Le nouveau président est un professeur d’histoire, très tôt sensibilisé au syndicalisme, ce qui lui a valu d’être emprisonné plusieurs fois sous le régime de F. Houphouët Boigny.
En décembre 2000, il ne remettra pas en cause une décision de justice, interdisant à A. Ouattara de se présenter aux élections législatives. Au cours de la nuit du 8 et 9 janvier 2001, le pouvoir doit faire face à une tentative de coup d’Etat qui échoue. L’implication de ressortissants étrangers et de certains pays voisins, comme le Burkina Faso, est dénoncée par le gouvernement.
Dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, alors que le président Gbagbo est en voyage officiel à Rome, a lieu une mutinerie qui a pour motif les retards de paiement des soldes des militaires et le refus des mises à la retraite de plusieurs officiers. Plusieurs personnalités dont R. Gueï, qui est soupçonné être à l’origine de cette tentative de coup d’Etat et le ministre de l’Intérieur, sont assassinés. Les rebelles prennent le contrôle de plusieurs villes du Nord, dont Bouaké et Korhogo, et lancent une offensive sur Abidjan, la capitale économique du pays. Très vite, le gouvernement assimile ces événements à une tentative de coup d’Etat, qui pour le premier ministre a échoué.
Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs villes dans la région de Bouaké et dans celle de Daloa, ville d’importance stratégique pour le contrôle de la production du cacao, connaissent des combats d’envergure, opposant les Forces armées nationales de la Côte d’Ivoire aux rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire , dont le secrétaire général est Guillaume Soro, ancien leader d’un syndicat étudiant proche du FPI de L.Gbagbo et dont le chargé aux relations extérieures, Louis Dacoury Tabley, était un des premiers responsables de ce parti. Ces affrontements militaires vont alors conduire à une véritable partition du pays, entre un Nord contrôlé par le MPCI et le Sud par les FANCI et le gouvernement.
Malgré la signature, le 17 octobre 2002, d’un cessez-le-feu entre le MPCI et le gouvernement, un nouveau front verra le jour, début novembre 2002, à l’Ouest du pays avec l’apparition de deux nouveaux mouvements rebelles, le Mouvement populaire ivoirien du grand Nord et le Mouvement pour la justice et la paix , qui prendront le contrôle de la ville de Man contre l’armée loyaliste.
La possibilité de conduire la lutte politique, par le recours à une rébellion armée et un coup d’Etat, a été banalisée lors de la tentative réussie de R. Gueï, le 24 décembre 1999. Ce climat a favorisé l’éclatement du conflit actuel. Malgré de nombreuses tentatives pour résoudre la crise, en juin 2005, le pays est toujours partagé en deux. Certains médias ont eu une vision un peu simpliste de ce conflit en le réduisant à une confrontation entre un Nord musulman et un Sud chrétien mais le problème est sans doute plus complexe, comme le fait remarquer un spécialiste de l’Afrique, François Roubaud, les étrangers étant plus nombreux au Sud qu’au Nord, du fait de la richesse économique des régions côtières et de la présence de la boucle du cacao.
La France s’est trouvée impliquée, dès le début, dans cette crise, pour « assurer la sécurité des ressortissants français et des citoyens occidentaux », car la Côte d’Ivoire comptait en septembre 2002 plus de 20 000 ressortissants français. Le président Chirac et le ministre des affaires étrangères de l’époque, Dominique de Villepin, ont souhaité à travers cette crise, mettre en application leur nouvelle politique d’engagement envers l’Afrique. La France, considérée après la colonisation comme le gendarme de l’Afrique, a choisi de rompre avec les modes traditionnelles de gestion des crises dans le pré-carré africain, où pendant longtemps la règle était de porter secours aux régimes en place contre les rebelles. En Côte d’Ivoire, elle a choisi de s’interposer entre les belligérants et de favoriser le processus de réconciliation.
La France, qui est intervenue militairement puis politiquement en Côte d’Ivoire, a donc mis à l’épreuve la politique élaborée par J.Chirac et D. de Villepin, vis à vis du continent africain, concernant notamment la gestion des crises dans cette région, puisque la Côte d’Ivoire a été jusqu’à ces dernières années, la vitrine de la France en Afrique. Du fait de sa stabilité politique et de la prospérité économique, ce pays était l’exemple de la réussite de la décolonisation, le « miracle ivoirien ». Aujourd’hui, même si elle a reçu le soutien de l’ONU et de l’Union africaine, le rôle de la France en Côte d’Ivoire paraît ambigu, puisque aucune solution n’a pu être apportée pour résoudre le conflit qui a fait en une décennie des milliers de morts.
L’intensité de l’engagement français a suscité de vives réactions, la France ayant tour à tour été accusée d’indifférence puis de néo-colonialisme. Attaquée par toutes les parties au conflit, la présence française a parfois semblé ne conduire qu’à une impasse et a suscité le fleurissement d’un vocabulaire journalistique. La France s’est ainsi retrouvée tour à tour « dans la nasse », dans « le bourbier », dans le « guêpier » ou dans le « piège » ivoirien. Certains journalistes, n’hésitent pas à qualifier la Côte d’Ivoire, de «petit Irak de la France », comparant la situation française à celle vécue par les Américains, à la suite de l’intervention militaire au Moyen Orient le 1er mars 2003.
Selon certains officiers de l’armée française présents en Côte d’Ivoire á l’époque, le gouvernement français, sous Chirac et Villepin, serait les commanditaires. Le pays est, en juin 2005, toujours coupé en deux et certains faits montrent qu’il est au bord du gouffre. Les développements qui vont suivre ont pour but de tenter d’appréhender la gestion, par les autorités françaises, de la crise qui touche son ancien pré carré. Depuis 1999, la crise ouverte résulte d’un engrenage de facteurs politiques avec déficit de légitimité et de gouvernance, de facteurs économiques et sociaux.
La dépression économique a accentué la crise sociale et politique. Le conflit est devenu militaire avec le contrôle du nord par les forces du Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire, elles-mêmes soutenues, selon toute vraisemblance, par les pays voisins avec des appuis extérieurs. Les mouvements à l’ouest sont fomentés par des mercenaires et groupes armés venant du Liberia, pays connaissant lui-même un conflit alimenté par le diamant. Le conflit ivoirien est régionalisé avec notamment l’appui aux forces gouvernementales de l’Angola et de mercenaires sud-africains et libériens…À Suivre
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