Notre chroniqueuse, Fatou Fall analyste en Défense, Sécurité et Paix est aussi biologiste. C’est sous cette casquette qu’elle aborde avec docteur Khadim Kebe des questions liées à l’épidémiologie moléculaire. Sur la table la COVID-19 et le SARS-CoV-2 au Sénégal.
Epidémiologie évolutive et maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) : adéquation de la gestion du coronavirus 2 du syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV-2) au Sénégal
Khadim Kebe, biologiste & Fatou Fall, biologiste • La gestion des risques sanitaires en situation d’urgence ne saurait occulter la veille scientifique. Celle-ci consiste en la surveillance et l’alerte précoce.
En cette période de pandémie de COVID-19, l’épidémiologie moléculaire constitue un outil majeur. Il est déplorable de constater que cette branche de l’épidémiologie et de la science médicale est fortement négligée dans nos États africains au moment où elle constitue un des piliers de l’élaboration et de la mise en œuvre de tout élément de réponse dans les pays développés. En effet, le SARS-CoV-2, étant un virus à ARN, évolue rapidement (taux de mutation élevé).
Par conséquent, sa dynamique évolutive et écologique se produit à peu près à la même échelle de temps ; donc une investigation évolutive et épidémiologique conjointe peut fournir des informations utiles et opportunes dans le cadre du processus de prises de décisions de santé publique et la lutte contre cette pandémie.
Force est de constater qu’au Sénégal comme dans le reste de l’Afrique à l’exception de la République Démocratique du Congo, les informations contenues dans le génome du virus sont très peu prises en compte malgré leur importance dans une telle situation. En effet, la disponibilité de séquences de génomes à grande échelle du SARS-CoV-2 fournira plusieurs informations clés sur la dynamique spatiale de la transmission du virus à l’échelle internationale, nationale et communautaire.
Si dans beaucoup d’Etats dans le reste du monde, le séquençage de ce pathogène est systématique, il n’en est pas de même chez nous. En effet, en Afrique, des séquences de génomes entiers ne sont enregistrées que dans 8 pays dont le Sénégal, ce qui représente une contribution de 0,66% à la connaissance du SARS-CoV-2 dans le monde à la date du 18 mai 2020.
Ces données ne correspondent toujours pas au nombre effectif de malades recensés et leur indisponibilité ne permet pas aux spécialistes de la bioinformatique et de la biologie évolutive d’effectuer des analyses appropriées. La pertinence d’une telle démarche réside dans la nécessité de déployer une stratégie de gestion de la pandémie adaptée à la réalité du terrain. Il faut dire que la standardisation des réponses, notamment à travers le confinement ou le déconfinement progressif ou partiel, pourrait être fatal à nos États.
En partant du simple constat sur le déconfinement progressif en France, l’on pourrait s’interroger sur les motifs réels de ce procédé. A ce titre, les localités les plus touchées n’observent point des mesures identiques à celles édictées dans les localités les moins touchées. Un approfondissement de la réflexion ne renvoie qu’à des études scientifiques permettant d’identifier les zones où la contagion est plus prononcée.
Il faut dire qu’en réalité la contagiosité n’est point évaluée selon le nombre de contaminés recensés mais tient compte de la présence d’une ou des mutation(s) spécifique(s) du virus chez ses hôtes. Dès lors, la politique sanitaire doit obligatoirement comporter la recherche stratégique. C’est dans ce contexte que le traitement bioinformatique des séquences de génomes disponibles met à jour une situation très alarmante.
La présence au Sénégal (plus de 82% des génomes disponibles) et en Afrique (plus de 89% des génomes disponibles) de la mutation considérée comme rendant le SARS-CoV-2 plus contagieux est bien avérée. Il est à noter aussi que des variantes rares associées à la gravité de la maladie ont été identifiées en Australie, en Europe, en Inde et aux Etats-Unis.
Dès lors, une batterie de mesures s’impose, notamment la mise sur pied de comités de veille chargés de suivre l’évolution du virus à l’échelle nationale et à l’échelle régionale, la mobilisation de fonds destinés au financement de la recherche en vue d’assurer l’effectivité d’un séquençage systématique du virus chez les contaminés et les personnes décédées du COVID-19, la mise à disposition des séquences éventuellement stockées en vue d’une meilleure exploitation. En d’autres termes, l’heure est grave.
Les mesures préconisées permettraient ainsi de mesurer la contagiosité selon les communes et ainsi de redéployer les moyens de lutte afin de mieux contenir la pandémie sur le territoire. Une cartographie sérieuse et dynamique faciliterait la gestion de la pandémie d’autant plus que face à l’absence de données génomiques sur ce virus dans les pays frontaliers, une prospective quant aux risques de contagion liés aux futurs mouvements d’ovins pour l’Aïd-El-Kébir est limitée.
Nous ne saurions ne point exprimer notre inquiétude en ce sens que les mutations de ce virus ne sont pas maîtrisées et qu’en outre des animaux ont été testés positifs ; comme le tigre de Malaisie aux États-Unis, un canidé à Hong Kong, des chats en Chine et en France, le Vison d’Europe au Pays-Bas. La maîtrise de la parenté virale est plus que déterminante dans l’étude de la transmission.
Une non réactivité de la communauté scientifique africaine pourrait ainsi laisser place à des éventualités d’apparition d’un « nouveau virus » alors qu’il ne s’agirait en vérité que de mutants non identifiés. Dans une certaine mesure, l’on ne peut s’empêcher de se poser des questions sur les prévisions attendues par l’OMS en termes de nombre de morts en Afrique.
Eu égard à ce qui précède, pourrait-on avancer que cette organisation ainsi que les États qui la soutiennent dans ses « prédictions » seraient en détention de données scientifiques propres au continent africain au moment où les experts en la matière triment pour en avoir l’accès ? Ainsi se pose la question de l’émergence de mutations particulières pouvant affecter les efficacités d’éventuels vaccins et traitements à base d’anticorps en Afrique.
Face à ces incertitudes nombreuses, la logique ne voudrait-elle pas que les impacts des éventuelles mutations soient maîtrisés afin que la dangerosité ou encore la létalité soient cernées. Ce paramètre est d’autant plus important lorsque l’on prend en considération les faiblesses sur le plan immunitaire des individus constituant une population. La proportion d’enfants souffrant d’asthme, celle d’adultes présentant des antécédents de diabète, cardio-vasculaires, rénaux entre autres constituent des facteurs à prendre en compte.
Nous ne saurions par la même occasion occulter les maladies propres à notre environnement tels que le paludisme, le choléra pour ne citer que celles-ci en nous projetant dans le temps et donc dans la saison des pluies. Pour être en mesure de décliner une stratégie englobant aussi bien la contenance de la pandémie que la mise en place de solutions effectives et durables, une recherche scientifique adaptée au contexte s’impose.
Pertinent article. Félicitations et encouragements.