Bouna Medoune Seye, un enfant du soleil

Bouna Medoune Seye est parti. Quel jour, je ne sais plus, tant la nouvelle a été brutale et foudroyante. Lui aurait juste dit, évoquant sa propre mort : « Paris, pas de jour … »

Comme il y a eu un avant et un après Mambéty, il y aura un avant et un après Bouna. C’est une page qui se tourne mais ne se ferme jamais. Celle des grandes figures du « Dakar Culturel ».
2017 a été dramatique pour les arts, beaucoup de talents ont quitté ce monde en cette année. Dès janvier Ablaye Mbaye, en mars Cheikh Tidiane Tall, en avril son maître Joe Ouakam, en juin Ibou Diouf, en septembre El Hadj Ba, en octobre Baye Peulh et en décembre Bouna Medoune Sèye. Il a attendu la fin du mois de décembre pour tirer lui-même le rideau de cette année pas comme les autres. En tant que scénariste, c’est bien joué, sauf que s’il faut chercher un navet à sa riche carrière, ça serait sans hésiter celui-ci. Sans doute tenait-il, vaille que vaille, à immortaliser avec son Canon, les retrouvailles d’outre-tombe entre Mambéty et Joe Ouakam…

Bouna Medoune Seye était un artiste hors pair, inclassable, et insaisissable. Photographe, réalisateur, directeur artistique, peintre, poète. On dit souvent qu’il vaut mieux se spécialiser au risque de se disperser. Bouna a démontré le contraire. Multitâche, il a fait sienne ces paroles de Lamartine : « La photographie est un art, c’est mieux qu’un art, c’est le phénomène solaire où l’artiste collabore avec le soleil. »

Ce soleil, cette lumière, Bouna l’a poursuivi dans tous les arts. Raison pour laquelle il a excellé partout où il a exercé. Peu importe le canal, il lui fallait s’exprimer, il lui fallait y croire. Produire pour mieux affronter les souffrances de sa jeunesse qui firent de lui un écorché vif (comme la mort tragique d’un ami et de son frère ). Sa quête ne visait pas une quelconque gloriole ou de l’argent, il voulait juste être soi et être utile. Le fait est qu’il était tout simplement d’une générosité extrême.

Toujours entre deux avions, il travaillait comme un fou, comme s’il était convaincu également que le temps, plus que tout le monde, lui était compté. Un tournage de clip à Conakry, un plateau cinéma à Abidjan, un shooting à New York, un festival à Berlin, une exposition à Bruxelles, puis un autre à Sao Paulo, un petit détour par Dakar pour un repérage, quelques poèmes écrits dans le TGV entre Paris et Marseille, Bouna ne s’arrêtait jamais.

La première fois que je l’ai rencontré, c’était quelque part sur les trottoirs de Dakar, sa ville natale et lieu de travail favori, son coin d’inspiration. Toute son œuvre est une aventure racontant la vie des grandes cités du continent noir. Avec ses compagnons, Djibril Sy, Moussa Mbaye et Boubacar Touré Mandémory, il a témoigné en faveur d’une photo artistique africaine.

Ce jour- là, il était en compagnie de mon oncle Pape Amadou Diop Dongri, artiste galeriste. Je découvre alors un homme charismatique, affable et d’une gentillesse sans fin. Personnage clivant, comme d’ailleurs la plupart de ses maîtres, Bouna est séduisant par sa simplicité. Devant le mythe lié à sa personne, à son nom surtout, Bouna reste un homme modeste et d’une humilité débordante, c’est ce qui fait finalement sa particularité, sa profondeur et sa complexité. Dès ce jour, il a eu envie de me faire travailler. Il le fera en me confiant tantôt ses relations presse, tantôt me demandant de lui écrire un synopsis. Il me mettra en rapport avec énormément de monde. Plus tard, j’ai compris qu’il était comme ça avec tout le monde. Servir sa famille, partager ses connaissances à tout apprenant, venir en aide aux damnées et humiliés de la vie.

Troubadour chantant l’humain et l’universel, jusqu’à consacrer en 1993 au Québec, à la galerie la chambre blanche précisément, une exposition dédiée à ses lointains cousins indiens d’Amérique.
Par la suite, je le revois fréquemment, toujours en compagnie de Dongri et après le décès de ce dernier, je le revois encore et encore, soit dans la cour de Joe, soit autour d’un bon dibi ou tapas de Dakar, avec mon frère Pape Alioune, qui devient son confident, mais aussi avec tontons Hamza et Mactar Diop, ses plus que frères.

Feu Tonton Dongri fût enterré à Tivaoune. Pour les habitants de la cité religieuse, ce jour est devenu une date repère parce qu’un homme d’une dimension exceptionnelle, El Hadj Maodo Touré (Qu’Allah l’agrée), le fils de El Hadj Hady Touré, maître spirituel de Serigne Abdou Aziz Sy Dabakh (Qu’Allah l’agrée), qui ne sortait que très rarement, avait honoré de sa présence la prière mortuaire. C’est le jour où El Hadj Maodo Touré était sorti, entend-on désormais dans la ville.

La providence fît que dans la mosquée, il se retrouva côte à côte avec Bouna. Etant habitué grâce au cinéma à repérer rapidement les personnages hors du commun, Bouna perçût en El Hadj Maodo Touré, une lumière spéciale et se déplaça de quelques mètres. Pour mieux l’observer mais surtout pour témoigner de son respect envers cet individu si particulier qu’il voyait pour la première fois. Rien que cet égard accordé à un tel érudit peut lui valoir la miséricorde divine. La providence encore a voulu que El Hadj Maodo Touré parte, en mars dernier, quelques mois avant Bouna… certainement pour l’accueillir. Ce serait un heureux happening.

Bouna Medoune Seye, il s’appelait…

L’une de ses dernières expositions à laquelle j’ai assisté à l’hôtel Fleurs de Lys à Dakar était un moment inoubliable. Il savait choisir ses endroits pour exposer. Cette fois, c’était à la terrasse du fameux hôtel avec une vue imprenable sur la capitale sénégalaise et une lumière d’une rare beauté. La vie de la cité, ses bruissements, c’était son univers. Le beau comme le glauque. Il l’a conté dans ses films ”Bandit Cinéma”(1992, 26 minutes) ou ”Zone Rap”(1998, 53 minutes) toujours accompagné de son fidèle producteur Moctar Ba.

Quant à la lumière, il l’a cherchée toute sa vie. Il cherchait l’essence de la lumière. Un jour, sur un plateau, le crépitement d’un appareil le fit sursauter : « Enlèves-moi ce flash, cherche la bonne lumière avant de prendre ta photo » lança-t-il au photographe qui s’exécuta devant les paroles du maître. Naturellement, la photo fut magnifique ! Cette lumière tant recherchée, il l’avait enfin trouvée.

Aujourd’hui, Bouna laisse un héritage immense. Sa vie n’a pas été vaine. À ses débuts, il n’était que le disciple de Mambety et de Joe Ouakam. À force de travail et d’authenticité, il est devenu Bouna Medoune Seye tout court. Le style, c’est l’homme !
« Certes, tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis. Rien n’est plus vivant qu’un souvenir » disait Victor Hugo.
Il repose depuis…je ne me rappelle plus du jour…
De toute façon, lui aurait juste dit : Ouakam, pas de jour…”

Crédit-photo: aigle44.a.i.pic.centerblog.net

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