Amady Aly Dieng est né le 22 février 1932 à Tivaouane. Il a grandi, comme beaucoup d’enfants, en parcourant le Sénégal au gré des affectations d’un père fonctionnaire et Chef de gare. Il vivra à Mbacké dans le Baol et aussi à Kidira. A Kidira, le jeune Amady Aly Dieng côtoie Soninké, Haalpulaar, Maures, Bambara et une minorité Khassonké. Il apprendra toutes ces langues pour converser avec eux. Dès cette période donc, il affiche une certaine précocité intellectuelle. Amady Ali Dieng raconte que c’est à Kidira qu’il comprît l’importance de la diversité ethnique et linguistique.
« Je peux affirmer que c’est à partir de ce moment que j’ai compris l’importance des contacts ethniques et linguistiques. C’est pourquoi je n’ai jamais négligé ce phénomène dans mes analyses des sociétés sénégalaises et africaines » dira-t-il dans l’excellent livre-entretien qu’il a fait avec le Pr Abderrahmane Ngaïdé « Entretiens avec Amady Aly Dieng : Lecture critique d’un demi-siècle de paradoxes ».
En 1939, Amady Aly Dieng entre à l’Ecole française. Parallèlement, il apprend le Coran et deviendra lettré en langue arabe. En 1946-1947, il rejoint l’internat et y rencontre Togolais, Béninois, Ivoiriens, Maliens et des Burkinabés. Sa conscience africaine commence à s’éveiller. Pour « démolir » les théories assimilationnistes qu’on lui apprend à l’école des blancs, le jeune Amady décide de s’armer de savoir jusqu’aux dents pour parler comme Cheikh Anta Diop. Il dévore les livres de la bibliothèque et écrit régulièrement dans le journal du collège « l’écolier Noir ». À Saint-Louis, il a la chance de suivre les conférences d’Alioune Diop ( Présence Africaine), Emmanuel Mounier, Bernard Simiot, ou encore Georges Duhamel. Sa passion du livre et de l’écriture, il la tient d’un de ses professeurs qui donne à ses élèves un certain nombres d’ouvrages à lire en notant les mots incompris et les phrases qui leur semblent belles. Cet exercice reveille en lui le goût de lire.
Baccalauréat en poche, le jeune Amady Aly Dieng entame une vie universitaire féconde. Il participe aux débats de son temps. Son départ pour la France va accentuer son goût pour la recherche du savoir. À Paris, il ne se lasse pas d’acquérir des connaissances. Son ami Ousmane Camara et lui fréquentent les théâtres, les salles de conférences et les librairies. Colonisation, émancipation du monde noir, nationalisme, identité et développement de l’Afrique, autant de thèmes qui le passionnent. Avec les Césaire, Senghor, Cheikh Anta Diop, Birago Diop, et tant d’autres, il oeuvre à l’éclosion d’une pensée africaine.
De retour à Dakar, l’économiste de formation, qui a travaillé jusqu’à sa retraite à la banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et comme Professeur d’économie à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, continue de produire et de fréquenter les conférences et débats. Beaucoup d’ailleurs le prenaient pour un littéraire tant il était assidu dans les présentations et dédicaces de livres. Il avouera d’ailleurs que la philosophie l’a aidé à être un meilleur économiste. Ancien membre et président de la FEANF (Fédération des étudiants d’Afrique Noire Francophone), Amady Aly Dieng participera à nombre de conférences à travers le monde. Chine, Russie, Techkoslovaquie, Pologne, Pérou, Vietnam, France, Nigeria, Maroc pour ne citer que ces pays, l’accueillent pour échanger et prêcher pour une Afrique libre.
Polémiste, critique, toujours prompt à provoquer et ramer à contre-courant pour susciter le débat, Amady Aly Dieng était ce qu’on peut appeler un intellectuel radical. Autrement dit, un intellectuel jusqu’au bout des ongles. Homme de conviction et d’une grande dignité, Professeur Dieng n’a accepté, tout au long de sa vie, aucune compromission. Il était enfin de commerce facile, un brin taquin, adepte de la dérision et surtout de l’autodérision : la marque des très grands !
Tout le monde se rappelle du mémorable face à face télévisé qui l’avait opposé à Axelle Kabou, venue défendre son ouvrage « Et si l’Afrique refusait le développement ? » . Il avait remis en cause plusieurs thèses de l’auteur alors que cette dernière était à l’époque plus qu’encensée.
Avant de quitter ce bas-monde, le Professeur Dieng, qui n’a jamais cessé de fréquenter le monde des idées, a produit plusieurs écrits : les succulentes notes de lecture qu’il offrait aux nombreux lecteurs du journal Sud Quotidien et de nombreux ouvrages parmi lesquels : » Pensée sociale critique pour le XXIè siècle « , » Lamine Guèye – une des grandes figures politiques africaines (1891-1968) » ou encore » Histoire des organisations d’étudiants africains en France (1900-1950) » .
Il est parti (que Dieu l’accueille dans son paradis) mais par ses publications, il ne quittera plus jamais les bibliothèques et les librairies. C’est ce qu’il confia au journaliste Sada Kane, qui le recevait dans son excellente émission « L’Entretien » : « Quand vous écrivez des ouvrages, vous n’êtes jamais mort. Vous êtes parmi les contemporains. Même si vous êtes dans la tombe, votre pensée est là, écrite dans un livre », comme pour dire à tous ceux qu’il agaçait intellectuellement : Vous ne vous débarrasserez pas de moi aussi facilement…
Je vous recommande : « Entretiens avec Amady Aly Dieng : Lecture critique d’un demi-siècle de paradoxes » – Abderrahmane Ngaïdé Editions Codesria
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