Armelle Mabon • Suite à la publication, ce 2 décembre, dans le journal Enquête + de l’interview de Mamadou Diouf réagissant à la diffusion sur Médiapart de mon billet consacré au Livre blanc, j’ai été amenée à solliciter un droit de réponse.

Interview de Mamadou Diouf dans le Journal Enquête +
𝗗𝗥𝗢𝗜𝗧 𝗗𝗘 𝗥É𝗣𝗢𝗡𝗦𝗘
𝗨𝗻 𝗿𝗲𝗽𝗿𝗼𝗰𝗵𝗲 𝗱’𝗮𝗰𝗵𝗮𝗿𝗻𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗶𝗻𝗳𝗼𝗻𝗱é
Mamadou Diouf évoque un acharnement alors que je n’ai publié qu’un seul texte, après lui avoir transmis mes suggestions de correction. Il ne peut donc être question d’une offensive personnelle, mais d’un devoir de rigueur face à un document présenté comme « référence ».
𝗠𝗲𝘀 𝘁𝗿𝗮𝘃𝗮𝘂𝘅 𝗶𝗻𝘁é𝗴𝗿𝗮𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁 𝗿𝗲𝗽𝗿𝗶𝘀 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗹𝗲 𝗟𝗶𝘃𝗿𝗲 𝗯𝗹𝗮𝗻𝗰
Contrairement à ce qui est suggéré, le comité et les rédacteurs du Livre blanc ne sont pas passés outre mes recherches : toutes mes conclusions y figurent, comme celles de mon ouvrage consacré exclusivement au massacre de Thiaroye, publié en 2024.
La différence majeure tient au fait que mes analyses reposent sur un travail de longue haleine, fondé sur la consultation méthodique des archives, la critique des sources et la confrontation des documents.
𝗨𝗻𝗲 𝗰𝗼𝗻𝘁𝗿𝗶𝗯𝘂𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗰𝗼𝗻𝘀𝘁𝗮𝗻𝘁𝗲 𝗲𝗻 𝗾𝘂𝗮𝗹𝗶𝘁é 𝗱’𝗲𝘅𝗽𝗲𝗿𝘁𝗲 é𝘁𝗿𝗮𝗻𝗴è𝗿𝗲 𝗱𝘂 𝗰𝗼𝗺𝗶𝘁é
Si j’ai choisi de ne pas siéger dans la commission « Établissement des faits », c’est précisément pour permettre aux autres historiens de se forger leur opinion et parce que j’avais déjà effectué ce travail. Cela ne m’a pas empêchée de transmettre toutes les nouvelles données recueillies, les avis de la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs), les jugements et arrêts indispensables à la compréhension juridique du dossier. J’ai toujours fait partie du comité en tant que « experte étrangère » et membre d’une commission.
Si j’avais « tout dit », je ne poursuivrais pas encore aujourd’hui des recherches dans les archives du 23ᵉ BiMA, sur les navires ayant accosté à Dakar en novembre 1944, aux archives diplomatiques de Nantes et auprès des archives nationales afin de retrouver des cartons étrangement disparus ou auprès du Service historique de la Défense pour retrouver les dossiers des décédés de décembre 1944.
𝗟𝗮 𝗾𝘂𝗲𝘀𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲𝘀 𝗮𝗿𝗰𝗵𝗶𝘃𝗲𝘀 𝗺𝗮𝗻𝗾𝘂𝗮𝗻𝘁𝗲𝘀 : 𝘂𝗻 𝗰𝗼𝗺𝗯𝗮𝘁 𝗽𝗮𝗿𝘁𝗮𝗴é
Nous demandons tous la même chose : les archives disparues et manquantes, que je signale depuis mon premier article en 2002. Réclamer ces documents avec les moyens dont je dispose ne revient pas à « régler mes comptes avec la France ». Je suis Française. Est-ce cela qui dérange ?
𝗗𝗲𝘀 𝗲𝗿𝗿𝗲𝘂𝗿𝘀 𝘀𝗶𝗴𝗻𝗮𝗹é𝗲𝘀, 𝗻𝗼𝗻 𝘂𝗻𝗲 𝗽𝗿é𝘁𝗲𝗻𝘁𝗶𝗼𝗻 à 𝗹𝗮 𝘃é𝗿𝗶𝘁𝗲 𝗮𝗯𝘀𝗼𝗹𝘂𝗲
Je n’ai jamais affirmé : « Vous vous trompez, moi je sais ».
J’ai uniquement relevé des erreurs qui auraient pu être évitées si un échange avait été organisé en amont. L’absence de concertation ne m’est pas imputable. Combien de membres du comité ont pu avoir accès à ce Livre blanc avant sa diffusion ?
Quant à l’accusation selon laquelle « j’avance des chiffres comme ça », elle est infondée : les archives londoniennes, plus neutres, permettent d’établir clairement les effectifs à embarquer. Il n’y a plus de débat sur les 400 qui auraient refusé d’embarquer à Casablanca. Tout le monde s’accorde pour dire que c’est un mensonge pour camoufler le nombre de victimes. Il suffit d’écouter Cheikh Faty Faye, dont je poursuis le travail précurseur. Je ne hiérarchise pas les sources selon l’origine de leurs auteurs.
𝗟’𝗮𝗶𝗱𝗲 𝗮𝘂𝘅 𝗱𝗲𝘀𝗰𝗲𝗻𝗱𝗮𝗻𝘁𝘀 : 𝘂𝗻𝗲 𝗮𝘃𝗮𝗻𝗰𝗲́𝗲 𝗾𝘂𝗲 𝗷𝗲 𝘀𝗮𝗹𝘂𝗲
Mamadou Diouf évoque l’aide aux descendants ayant engagé des actions judiciaires. C’est une excellente nouvelle.
J’ai, à une occasion, suggéré que l’État sénégalais se porte en intervention volontaire pour renforcer leur requête : cela était juridiquement possible. Je n’ai pas insisté.
J’ai également proposé que Biram Senghor soit décoré, tant son combat a été décisif pour la vérité et la justice.
𝗨𝗻 𝘁𝗿𝗮𝘃𝗮𝗶𝗹 𝘂𝘁𝗶𝗹𝗲, 𝗻𝗼𝗻 𝘂𝗻𝗲 𝗶𝗻𝗳𝗹𝘂𝗲𝗻𝗰𝗲 𝗶𝗺𝗽𝗼𝘀𝗲́𝗲
Mamadou Diouf n’a pas besoin de moi. Mais il reconnaît implicitement que mes travaux ont été utiles, puisqu’ils permettent de gagner un temps considérable dans l’analyse d’un dossier d’une grande complexité.
Scruter chaque pièce, repérer falsifications et camouflages, confronter les sources : tout cela demande des années de travail et non une baguette magique.
C’est pourquoi je lui pose une question simple :
combien de cartons d’archives avez-vous fouillés pour comprendre le massacre de Thiaroye ?
𝗨𝗻𝗲 𝗮𝗰𝗰𝘂𝘀𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 𝗱𝗲 “𝘁𝗲𝗿𝗿𝗼𝗿𝗶𝘀𝗺𝗲 𝗶𝗻𝘁𝗲𝗹𝗹𝗲𝗰𝘁𝘂𝗲𝗹”
Me reprocher un prétendu « terrorisme intellectuel » parce que je cherche à approcher une vérité qui dérange, et parce que j’ai publié un travail dont une large part est reprise dans le Livre blanc, interroge. Mon seul souci est l’exactitude quant aux faits déjà établis et cela n’a rien à voir avec des questions de nationalité ou de souveraineté. C’est précisément la rigueur scientifique du Livre blanc qui rendra les voix du Sénégal et des autres pays africains incontestables dans leur dialogue avec la France.
Si le professeur Diouf nie la réalité des erreurs que j’ai signalées, qu’il démontre que j’ai tort. De quel côté est donc le « terrorisme intellectuel » ?
Si l’on veut rester dans un débat scientifique et rationnel, il faut se garder d’accusations, dont l’excès est déplacé et injustifiable.
Ce document, désormais qualifié de rapport, reprend mes analyses tout en me déniant le droit d’en signaler les erreurs dans leur retranscription. Comprenne qui pourra.
𝗣𝗼𝘂𝗿 𝗾𝘂𝗲 𝗰𝗲𝘀𝘀𝗲𝗻𝘁 𝗹𝗲𝘀 𝗺𝗲𝗻𝘀𝗼𝗻𝗴𝗲𝘀
Dans sa pièce Thiaroye Terre rouge, Boubacar Boris Diop fait dire à Naman :
« Je vous l’avais dit, camarades ! Nous ne sommes pas morts, nous ne mourrons jamais. »
Cette phrase est mon talisman. Elle me guide pour que cessent les mensonges sur le funeste destin des tirailleurs spoliés de leurs dus, tués à Thiaroye, condamnés à tort et pour que leur dignité ne soit plus jamais bafouée. Mais aussi, pour que leurs proches puissent leur rendre hommage sur un lieu de sépulture honorable et qu’ils puissent obtenir justice et réparation.
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Armelle Mabon
3 décembre 2025








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