En 2008, à la suite de notes biaisées AAA de beaucoup de produits toxiques financiers détenus par les banques américaines et vendus sur les marchés financiers, le monde plongeait dans une crise financière sans précédent qui a entraîné une récession très sévère : la « Grande Récession ». L’agence de notation Moody’s était indexée et avait reconnu sa culpabilité.
Moody’s s’érige aujourd’hui en arbitre de la solvabilité du Sénégal, qui affirme sans ambages sa souveraineté économique. Utilisant un modèle économique fondé sur des conflits d’intérêts, car l’émetteur paye le notateur, et refusant de révéler au public les critères d’évaluation pour noter les pays, Moody’s avait suscité beaucoup de doutes sur sa crédibilité, la fiabilité de la méthodologie et la sincérité de ses notations. Ce qui devrait nécessairement entraîner des réformes, mais au lieu de réformes structurelles, son système de notation a regagné son pouvoir d’antan et continue à noter des pays comme le Sénégal, en pleine mutation politique et économique, dans une logique aussi punitive que celle appliquée à la Grèce lorsque le monde découvrit un déficit budgétaire supérieur à 12 % du PIB.
Dès que la Grèce a révélé cette statistique, après l’avoir cachée pendant des années, Moody’s a déclenché ses dégradations. En quelques mois, la note grecque est passée de A1 à Ca : le pays est devenu un « risque spéculatif », avec une explosion des taux d’intérêt, une perte d’accès aux marchés et, finalement, une mise sous tutelle par la Troïka (FMI, BCE, UE). Les Grecs ont payé un prix fort, car plus la note chutait, plus la dette s’alourdissait, et plus la note chutait encore, créant un cercle vicieux aux conséquences économiques désastreuses.
Est-ce que le Sénégal va connaître le même sort que la Grèce ?
Moody’s a dégradé la note du pays à Caa1, en insistant sur une « fragilité budgétaire » et des « risques de liquidité » en plus des autres critères souvent utilises (Dette/PIB, Déficit Budgétaire/PIB, taux de chômage et taux d’inflation entre autres) Mais derrière la rhétorique technocratique, se cache une logique politique et une « ligne de conduite douteuse» : punir l’indépendance, dissuader la rupture et contrer la souveraineté économique.
L’argumentaire de Moody’s est subjectif. Le Sénégal affiche une croissance soutenue, une stabilité politique retrouvée, un assainissement de la gouvernance économique/financière et une réorientation claire vers la production nationale et les ressources internes. Mais dans la grille d’évaluation de l’agence, ces choix comptent peu ou sont complètement ignorés. Les critères dominants — dette/PIB, liquidité externe, dépendance au financement étranger, taux de chômage, le taux d’inflation — sont beaucoup plus calibrés pour les économies occidentales. Dès qu’un pays cherche à affermir sa souveraineté économique, à financer son développement autrement, à mobiliser sa diaspora ou ses ressources naturelles, il devient « risqué ». Cette analyse est biaisée et revêt un caractère idéologique dès lors que beaucoup d’autres critères en faveur du Sénégal tels que la stabilité politique et institutionnelle, l’amélioration de la gouvernance économique et financière et la solidité des fondamentaux économiques n’ont pas trop pesé sur l’évaluation de la capacite du pays à générer des revenus, à lever des fonds sur le marché des capitaux et à payer ses dettes
Depuis l’alternance politique de mars 2024, les nouvelles autorités du pays assument un discours de souveraineté économique clair et un panafricanisme assumé accompagne d’une volonté politique courageuse leur permettant de revoir les contrats sur les ressources naturelles, de recentrer les dépenses gouvernementales sur la jeunesse et la protection sociale, de redéfinir une fiscalité plus équitable, et enfin d’explorer des options financières alternatives (obligations diaspora, sukuk, swaps dette-développement). Mais pour un système financier mondial habitué à la docilité, cette volonté de réappropriation ne cadre pas avec le modèle dominant d’endettement prescrit aux pays en développement et au Sénégal, en raison d’un taux d’épargne très faible. On a l’impression que l’ambition d’autonomie et de rééquilibrage des relations économiques et financières recherchée par le Sénégal n’est pas bien appréciée par les tenants de la finance internationale et particulièrement Moody’s ; raison pour laquelle on lui rappelle sa « vulnérabilité ». Les notations deviennent alors un instrument de discipline, un message voilé : le coût du crédit va grimper avec la possibilité de créer un cercle vicieux d’endettement à coût élevé, pour contraindre le pays à accepter les conditionnalités du FMI. C’est pour cette raison que nous partageons la réaction du ministère des Finances qui dénonce une analyse « spéculative, subjective et biaisée » car la dégradation ne tient pas compte des fondamentaux économiques du pays et des mesures prises pour la stabilisation des finances publiques.
Alors que la Grèce a été sauvée par la solidarité de la BCE, lui accordant beaucoup de temps, des plans d’aide et des rééchelonnements, le Sénégal, en revanche, est condamné par les marchés avec des taux usuraires et du dilatoire de la part du FMI.
Le temps est donc venu de travailler progressivement à rompre avec cette dépendance intellectuelle et institutionnelle. L’Afrique, et le Sénégal en particulier, doit promouvoir ses propres instruments d’évaluation : des agences régionales crédibles, transparentes avec des critères économiques précis, enracinées dans les réalités locales. L’évaluation du risque ne doit plus être l’arme des marchés, mais un outil de développement maîtrisé. La vraie menace n’est pas le défaut de paiement mais le défaut de souveraineté. Et tant que les leviers financiers sont monopolisés par ceux qui ont failli hier, des pays comme le Sénégal seront toujours notées non pour ce qu’elles font, mais pour ce qu’elles refusent de subir et sur des critères économiques et financiers élaborés pour les pays développés.
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