Le 13 septembre 2025, le conseil municipal de Dakar-Plateau a renommé plusieurs de ses rues animé, dit-il, «par une volonté commune et unifiée, d’une décision empreinte de mémoire et de respect des figures emblématiques de notre histoire et de notre identité.» C’est un acte louable mais qui interroge en même temps. Les figures choisies méritent les honneurs de la nation. Ils font même l’unanimité à une exception près. La question n’est donc pas une question de légitimité mais plutôt d’opportunité et de cohérence.
Depuis que les citoyens conscients des enjeux exigent que l’on change certains noms de rue encore trop coloniaux, la décision du conseil municipal du Plateau ne pouvait être que la bienvenue. Cependant, on reste sur notre faim. Comme toujours,on a célébré les hommes politiques et les chefs religieux. À croire qu’ils sont seuls au monde ! Pourquoi systématiquement marabouts et hommes politiques ? Aéroport Senghor, stade Abdoulaye Wade, centre Abdou Diouf.
Le fait est que cela découle trop souvent de motivation purement politicienne. C’est comme ce papa d’un nouveau-né dans nos familles musulmanes, confronté au choix du nom de son bébé. Il pense à son ami d’enfance, son propre père et l’oncle qui l’a élevé. Pour ne pas trancher et apaiser tout le monde, il choisit Seyduna Muhammad (Paix et Salut sur Lui). Qui va lui dire qu’il ne fallait pas ? Le Prophète est notre boussole, notre référence. À côté de lui, personne ne compte ou ne fait le poids !
C’est un peu ce que font les dirigeants lorsqu’ils doivent donner des noms de rues ou de lieux. Alioune Ndoye n’a pas dérogé à la règle en bon politique qui mise en attendant un retour sur investissement. Avec ça, dans nos pays tu peux lorgner un maroquin…
Choisir un nom de rue est un acte politique. Il n’est pas interdit qu’il respecte une certaine cohérence. L’onomastique ou l’art de nommer, existe. La rue Jules Ferry est devenue depuis longtemps pour beaucoup de Dakarois: « La rue Joe Ouakam » tant Issa Samb, à travers le 17, rue Jules Ferry, a eu un impact considérable sur la vie culturelle du Plateau. Les fanatiques diront : « Ahan, tu compares Joe Ouakam à Serigne Muntakha ? »
Serigne Muntakha mérite une avenue ou un boulevard comme Mamadou Dia ou comme son illustre grand-père Cheikh Ahmadou Bamba. Entendons-nous bien, Serigne Babacar Sy Mansour est un père, un oncle, un guide au sens propre comme au sens figuré, de même que Serigne Muntakha du reste mais quel est le rapport entre la rue Félix Faure et Serigne Babacar Sy Mansour ?
Citoyen modèle, guide exemplaire qui a montré à plusieurs reprises son leadership, notamment sa gestion de la période Covid-19, de surcroît ayant sa maison à Dakar et étant actif dans la vie de la capitale, il mérite un tel honneur, mais il y a sans doute, si on creuse bien, rue dans le Plateau plus indiquée et plus symbolique que l’on pourrait lui attribuer.
Dans le plateau, s’il y a un chef religieux dont le nom ferait davantage cohérence, c’est bien sûr Thierno Seydou mais aussi et surtout Serigne Babacar Sy dont la maison rue Amadou Assane Ndoye, ex rue Thiers a marqué l’histoire de Dakar.
Si on veut célébrer un chef de façon pertinente, pourquoi l’avenue Blaise Diagne ne porterait-elle pas le nom de Mame Abdoul Aziz Dabakh ? Elle passe devant sa mythique demeure où tant de crises socio-politiques ont été dénouées et où tant de figures importantes d’ici et d’ailleurs ont été accueillies.
Avenue Cheikh Ahmadou Bamba devant le Massalik, rien à dire. Heureusement que le nom de l’avenue ait précédé la mosquée d’ailleurs…ils seraient capables de nous sortir une incongruité….
Serigne Muntakha, pour son rôle déterminant dans la crise politique entre 2021 et 2024 et ses nombreuses contributions financières lorsque la nation est en proie à des difficultés, font qu’il est plus que digne de recevoir une telle reconnaissance.
Pourquoi pas un carré dédié à nos chefs religieux ? Par exemple, les rues entourant la Zawiya Seydi Hadj Malick de la capitale ou celles entourant la mosquée de la rue Moussé Diop, aux noms de différents dignitaires religieux. Accompagné par des librairies et bibliothèques islamiques, vendeurs de babouches et de chapelets, ce carré serait plus cohérent en tout cas…
En son temps, les choix faits par Ousmane Sonko maire de Ziguinchor sur les noms de certaines rues, (avenue du Capitaine-Javelier devenant l’avenue du Tirailleur-Africain ; la rue du Lieutenant-Lemoine devenant Thiaroye-44 ; Lieutenant-Truch rebaptisée Séléki-1886 ; la rue de France changée en rue de l’Union-Africaine et celle du Général-de-Gaulle appelée rue de la Paix ) étaient d’une cohérence remarquable. C’était en 2022. Même si l’administration centrale de l’époque s’opposa au projet pour des raisons politiciennes, c’est ce modèle qu’il faut suivre et imposer.
Mieux, dans une démarche démocratique et participative, les municipalités auraient pu demander aux administrés de choisir, pour chaque rue une personnalité sur une liste de 3 noms, tout en privilégiant au passage les grandes figures qui l’ont marquée. Évidemment ça ne peut pas être systématiquement la même chose car certaines figures n’ont jamais habité le Sénégal et pourtant mériteraient largement une rue à Dakar : Mandela, Sankara, Myriam Makeba, Miles Davis, Rosa Park, Winnie Mandela, Maryse Condé, Lumumba, Mohamed Ali, Tony Morisson…la liste est longue.
Ensuite, décoloniser le nom des rues ne veut pas dire enlever tous les noms de français ou d’européens. Delafosse, plus vaillant que certains autochtones, mérite largement de son lycée, Jacques Bignicourt de ENDA mériterait plus que quiconque qu’une place ou une artère porte son nom. De même que Rolland Collin, fidèle parmi les fidèles du président Dia. De plus, il ne s’agit pas d’effacer le colon. Il serait même utile de mettre en dessous de la plaque de la nouvelle rue Serigne Muntakha, un petit encadré: Ex rue Jules Ferry et un petit texte rappelant le discours de cet ignoble personnage. À défaut, un QR Code ferait l’affaire. Que c’est didactique que de magcher dans le 9ᵉ arrondissement de Paris et de voir au 21 bis rue de Bruxelles, une plaque relatant que Zola a écrit ici Germinal et J’accuse…!. Ou de marcher sur le pont du Carrousel et de voir la plaque dédiée à Brahim Bouarram, jeune Marocain que de jeunes skinheads liés au Front national avaient jeté dans la Seine et qui s’y noya.
On parle de Paris, mais ça existe dans toutes les villes du monde responsables qui souhaitent faire un travail de mémoire. Ces moments, ces histoires, à préserver et à transmettre, il y en a légion à Dakar. Quel Sénégalais n’aimerait pas voir marquer quelque part dans Dakar: El Hadj Malick Sy a rencontré ici Cheikh Ibra Fall ou Nina Simone a séjourné dans cet immeuble ?
Malheureusement, la politique politicienne, l’opportunisme nous font toujours rater l’essentiel. Le travail de mémoire !
C’est ainsi que les grands scientifiques, les artistes, les sportifs, les cinéastes, les grands professeurs qui ont servi et représenté le Sénégal à des niveaux insoupçonnés, sont snobés, oubliés et enterrés. Le retour de manivelle est toujours drôle et confondant lorsqu’une de ses personnalités ignorées chez elle est célébrée ailleurs.Comme ce jeune étudiant sénégalais à l’université de Nantes, qui bifurqua un jour, au hasard de ses promenades, rue Rose Dieng-Kuntz…il tomba des nues complètement décontenancé.
Mame Younous Dieng, Professeur Mboup, Professeur Pierre Ndiaye, Boubacar Boris Diop, Pathé Diagne, Abdoulaye Seye Moreau, Rose Dieng, Mame Maty Mbengue, Jules Bocandé, Lamine Diack, As Diack, El Hadj Malick Sy « Souris », Julien Jouga, Souleymane Bachir Diagne,Aminata Sow Fall, Amadou Dia Ba, Youssou Ndour, Oumar Gueye Sene, Amy Mbacké Thiam, Djibril Diop Mambety, Binette Niang, Ousmane Sembene….ne sont pas chefs religieux, personnalités politique encore moins…
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