Togo : Pays confisqué depuis 58 ans

Le raz-le-bol d’une jeunesse togolaise de moins en moins dupe s’exprime une fois encore face à une répression de tontons-macoute, dans un Togo dont les grands médias ne parlent pas souvent.

Togo : Pays confisqué depuis 58 ans, Information Afrique Kirinapost

La rue gronde au Togo

L’opinion publique internationale n’en entend parler que lors de manifestations populaires d’une colère et d’un désarroi pourtant légitimes. Une instabilité socio-politique qualifiées, comme souvent dans le pré-carré de l’ancien colon – d’émeutes de la faim ou autre termes humiliants que les « puissants » donnent pour encourager un imaginaire de domination sur l’indignité intrinsèque d’un petit peuple désordonné.

La famille Gnassingbé Eyadema règne sur le Togo depuis 58 ans. 

Après avoir assassiné le premier président du Togo Sylvanus Olympio en 1963, le chef d’Etat-major Etienne Gnassingbé Eyadéma accède au pouvoir par un coup d’Etat en 1967, afin de mettre fin, dit-il, au désordre ambiant. A sa mort en 2005, son fils Faure Essozimna Gnassingbé est installé à sa suite à la faveur d’un micmac constitutionnel peu surprenant pour les connaisseurs.

Le Togo vit jusqu’aujourd’hui au rythme lancinant de l’interdiction de défier le régime d’une quelconque façon. Le pilier de la puissance du clan familial, organe institutionnel de répression, jouit par fait accompli d’un pouvoir de vie et de mort sur tout auteur de critique. Harcèlements, torture, disparitions forcées et assassinats d’opposants et de journalistes indépendants sont monnaie courantes depuis plus de cinq décennies au Togo.

La censure est une tradition, avec une veille très attentive, contrôlée par celui qu’on appelle communément « l’ancien colon ». En 2020 la diplomatie française à Lomé faisait suspendre des organes de presse en raison de leur travail critique. En effet, un journal dénonçait un trafic de mallettes, pratique néocoloniale courante – qui consiste à transporter de l’argent liquide en grandes quantités, qui ainsi échappe à toute comptabilité -, en lien avec des « partenaires économiques » français notoires. Un autre journal relevait les « générosités » accordées par le régime à la diplomatie française locale en remerciement pour son appui indéfectible à la dictature. [« Sponsor officiel de la censure », Billets d’Afrique, avril 2020, no 296]

Togo : Pays confisqué depuis 58 ans, Information Afrique Kirinapost

Le règne des Eyadema en question

Spoliations en tout genre, détournements de biens publics et protection éhontée des intérêts français dans le pays par le clan au pouvoir, sont dénoncés depuis toujours par la presse indépendante et la société civile. Couronnés par un appareil répressif connu pour ses brutalités, les obstacles à la prospérité socio-économique de la grande majorité des Togolais, maintiennent les populations dans une impuissance et une indignité politique sciemment cultivée par le régime.

Depuis des années, de nombreuses voix s’érigent contre le maintien de liens économiques avec la France, qui exploitent les ressources du pays par des accords commerciaux et investissements qui ne reconnaissent pas la voix du Trésor public. La protection de ces liens économiques est assurée par une influence politique française sur les affaires internes togolaises, – notamment en matière d’élections et de contrôle des résistances -, ainsi que d’une présence militaire française permanente. [Maintien d’une dynastie « amie de la France », 2020, Thomas Bart, Survie]

Depuis plusieurs années, Faure Gnassingbé exprime par des accents bonté son engagement en faveur des fragiles besoins vitaux des Togolais dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’eau et de l’électricité. Et pourtant les images ces jours d’une répression qui se déchaine sur des manifestants visiblement mécontents de « l’ouverture et de l’optimisme » de Gnassingbé [republicoftogo.com, 21 février 2018], force est de constater que ses discours cherchent avant tout à occulter les vastes lacunes des droits politiques fondamentaux en amont de son besoin de plaire aux Togolais.

En effet, les manifestants dénoncent depuis début juin notamment « les arrestations de voix critiques » et la hausse du prix de l’électricité. Mais le déni domine. Face aux allégations de tortures de manifestants en détention par les tontons-macoutes du pouvoir, relatées par Amnesty International, les autorités togolaises déclarent « qu’aucune plainte [pour torture] n’a été déposée et que, dans le cas contraire, les auteurs de tels actes seraient « soumis aux rigueurs de la loi » ». [Manifestations au Togo : face aux allégations de torture, le gouvernement plaide « l’État de droit », Jeune Afrique, 18 juin 2025].

S’il est vrai que la relation entre le Togo et la France a généralement été bonne sur la durée, des détériorations passagères ont existé, comme l’a démontré par exemple une brouille diplomatique en 2009.

Togo : Pays confisqué depuis 58 ans, Information Afrique Kirinapost

Répression au Togo

C’est donc avec passablement de surprise que nous apprenions le 16 juin dernier la suspension sans préavis – pour trois mois – de la diffusion de RFI et France24 sur le territoire togolais, selon les autorités pour avoir diffusé des « informations inexactes, tendancieuses, voire factuellement erronées », notamment dans leur couverture des récents événements politiques. La diffusion de ces informations porterait atteinte « à la stabilité des institutions républicaines et à l’image du pays ». [« En pleine tension politique, le Togo suspend les médias français RFI et France 24 », Le Point Afrique, 17 juin 2025].

Une telle mesure dans d’autres pays comme au Sahel avait été décidée après une suite d’événements graves dans leur relation avec la France. Comme cela n’a apparemment pas été le cas au Togo, cette suspension des médias français rajoute aujourd’hui une couche de complexité à la relation entre le régime Gnassingbé et la France.

A la recherche de possibilités explicatives plus larges, et dans le contexte d’une évolution accélérée des relations et des partenariats entre la France et l’Afrique depuis six à huit ans, il semble évident que globalement les sentiments de nervosité et d’incertitude contribuent à attiser les tensions de manière multiforme.

Le cas échéant, nous avons tenté une piste de réflexion qui demanderait à être approfondie et à être vérifiée avec le temps. D’un côté le sentiment d’insécurité tant d’une France qui perd le contrôle de sa zone de confort, que des régimes « alliés » qui perçoivent le danger pour leur survie dans l’effritement de leur partenariat français, et qui cherchent une alternative salvatrice à court terme. De l’autre côté de la balance, l’émergence de frustrations populaires insistantes et de plus en plus assumées en dépit de la répression, une jeunesse souffrant de la privation chronique de ses droits fondamentaux et assoiffée de changements qui font si peur en même temps.

Cette piste se révèle insuffisamment documentée ici, simplement parce qu’il ne s’agit que de supputations. L’avenir nous en dira certainement davantage. Dans l’intervalle, d’autres sources d’informations fiables existent, notamment des journaux en ligne, basés ou non en Afrique, et dont les sources émanent du terrain. Ainsi la disparition des programmes de RFI et France24 au Togo pendant trois mois, est moins intéressante que l’expression d’un désaccord entre le Togo et la France quelles qu’en soient les contours, les dimensions et les retentissements dans le futur plus ou moins proche. Ce qui est sûr est que les préoccupations tant du régime togolais que du gouvernement français concernent avant tout leur positionnement géostratégique dans une équation d’interdépendance économique et politique. De plus, en jaugeant l’histoire du Togo depuis l’indépendance, force est de comprendre que le respect du bien-être des citoyens togolais a toujours peu importé et importera peu aux yeux tant de l’ancien colon que du gouvernement néocolonisé, et ne pourra que faire office d’alibi argumentaire.

En attendant, force au Citoyen Togolais !

—————-

Lecture complémentaire :

Togo : nouvelle répression des revendications pour la démocratie – CIVICUS LENS

 

 

Togo : Pays confisqué depuis 58 ans, Information Afrique Kirinapost Save as PDF
Share

D’origine britannique, Rebecca Tickle est d’abord une passionnée de l’histoire et du destin de l’Afrique. Elle baigne dans l’esprit du continent dès sa petite enfance à travers son père journaliste, qui sillonne l'Afrique dans le contexte de la Guerre froide. A l'issue d'une carrière d'infirmière diplômée bien remplie et l’achèvement d’une licence en sciences sociale et politiques, Rebecca Tickle travaille dans le domaine de la résolution de conflit et de la gestion de projet de médiation humanitaire. Elle s’engage ensuite comme chargée de communication puis comme secrétaire générale dès 2009 à la Fondation Moumié basée à Genève, structure œuvrant pour la réhabilitation de la mémoire coloniale tardive et postcoloniale de la résistance nationaliste au Cameroun et au-delà. Elle s'intéresse particulièrement aux maux qui rongent l'Afrique centrale et alimente sa réflexion à travers les dénominateurs communs caractérisant le continent. Portant une attention particulière aux rapports de pouvoir et d'influence depuis les indépendances, à travers entre autre la société civile et les médias, Rebecca Tickle se plonge dès qu’elle en a l’occasion dans cet univers qui lui tient tant à coeur, à travers la littérature, le cinéma africain et la condition humaine sur le continent. Une curiosité insatiable et une veille assidue des actualités depuis près de trois décennies, complétées par un Master en études africaines terminé en 2024 à l’Université de Genève, lui permettent de faire des analyses fortes et de participer sous diverses formes aux débats autour des questions brûlantes qui animent l'Afrique. Rebecca Tickle collabore avec la rédaction de Kirinapost depuis son lancement en 2016.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *