Amadou-Mahtar Mbow raconté par ses proches à l’UNESCO

Au mois de septembre 2019, je me suis rendu à  Andorre pour des raisons professionnelles. Une serie d’interviews et de reportage à réaliser. Le 13 du même mois, j’ai été reçu, par Jean Michel Armangol, actuel Secrétaire Général de la Commission nationale de l’UNESCO – Andorre). À l’époque, il était Secrétaire général adjoint, dans son bureau. C’était pour les besoins d’une interview/témoignage sur un ami commun le peintre burkinabé Sama. Dès qu’il sut que j’étais sénégalais, lui censé être interviewé, m’interrogea, de but en blanc, un ton admiratif : « Comment va Monsieur Amadou Mahtar Mbow »?

Interviewer une personnalité pout la première fois est toujours délicate. On ne sait jamais à quoi s’attendre. Mais quand le premier contact et échange se fait avec enthousiasme autour d’une figure sportive, culturelle ou politique célèbre, ça facilite la suite. En même temps sa question avait tout son sens. Nous étions dans les bureaux de l’UNESCO…

Pour lui répondre, je lui dit les deux choses.

La première était qu’il y a trois ans, Amadou-Mahtar Mbow m’avait fait l’honneur de répondre à mes questions pour les besoins d’un film que j’étais entrain de réaliser sur la problématique :  » l’usage formel des langues africaines dans nos différent systèmes administratifs, scolaires et universitaires. »

Ce film devrait être produit par Médiatik de Moctar Ndiouga Ba. Nous avions dú arrêter le tournage pour manque de fonds.

La deuxième chose que je dis à Jean Michel était qu’à plus de 90 ans Mbow restait infatigable tant que le Sénégal avait besoin de lui. La preuve, il venait juste de terminer les travaux qui l’ont mené aux quatre coins du pays pour les besoins de la Commission de Réforme des Institutions dont il avait la charge. Il restait un militant et un soldat.

Bon, après cette entame, nous fîmes notre entretien sur le peintre Sama et à la fin  monsieur Armangol,très marqué par la personnalité de Amadou-Mahtar Mbow, me remit un livre qui avait été publié à l’occasion des 90 ans de son ancien Directeur général. Cet ouvrage rassemble des textes et discours produits lors du colloque organisé le 31 Mai 2011 par l´AAFU ( Association des Anciens Fonctionnaires de l’UNESCO).

Leurs auteur(e)s qui proviennent du monde entier sont d’anciens fonctionnaires de l’UNESCO ou des personnalités qui ont connu Mbow durant son évolution au sein de l’organe onusien, où il fut successivement membre du Conseil exécutif, ensuite Sous-Directeur général pour l’éducation et enfin Directeur général (1974-1987).

Voici quelques extraits de témoignages (tirés du livre) de quelques personnalités de premier plan parmi des dizaines d’autres qui, tous reflètent une facette de Amadou Mahtar Mbow aura fait de son mieux pour (entre autres objectifs) que l’indépendance de la fonction publique internationale reste intacte, pour que le fonctionnement de l’UNESCO soit conforme aux réalités du monde contemporain.

Débutons par le témoignage du roumain Sorin Dumitrescu ancien Directeur du Programme hydraulique international. En visite officielle dans son pays d’origine Dumitrescu fut incarcéré par son Président: le redoutable Nicolae Ceausescu. C’était sans compter avec la détermination de Mbow.

« … Mais que dire de moi-même ? De juin 1976 à mai 1978, j’ai passé la plus rude épreuve de ma vie,(…) Je ne suis pas croyant (….) Toutefois, durant la période 1976-1978, j’ai éprouvé le manque de réconfort que la religion aurait pu m´offrir. Heureusement, j’ai eu durant ces moments-là ´´ mon dieu à moi´´, qui se trouvait au cinquième étage de ce bâtiment. J’ai cru en lui, j’ai gagné et j’ai aujourd’hui le privilège de lui rendre hommage devant vous. En parlant de « mon dieu à moi´´, je ne fais qu’utiliser une métaphore, car je n’ai jamais attribué à Monsieur Mbow des qualités d’ordre divin. Non, je sais qu’il est un être humain comme vous et moi. Sauf que dans ces circonstances dramatiques il a donné la preuve qu’il était meilleur que nous tous …..» Dumitrescu. .

Mbow avait engagé  un bras de fer qui dura deux ans avec le tout puissant Nicolae Ceausescu. Pour lui, les fonctionnaires de l’UNESCO, bien que cooptés par leurs pays, sont, le temps de leur mandat, au service du monde et sont sous la tutelle des Nations-Unies. Ce dernier finit par libérer son compatriote sous la pression internationale. C’est de cette période que parle M. Dumitrescu dans son texte.

« …. Sorin Dumitrescu regagna son poste.Il finira sa carrière comme Sous-Directeur général pour les sciences exactes et naturelles de l´UNESCO.

Quelques années plus tard, une affaire semblable éclata avec un collègue de l´ex-République démocratique allemande. Amadou Mahtar Mbow ne varia pas et procédera de la même manière jusqu’à la  libération de son collaborateur.

« Avant lui dans les années 1950, durant la période la plus noire du maccarthysme, un autre Directeur général, Luther Evans, ne s’embarrassa pas des mêmes scrupules pour licencier sept fonctionnaires de nationalité américaine. Ceux-ci avaient refusé de témoigner devant une commission d’enquête siégeant à l’ambassade des États-Unis à Paris, qui devait statuer sur le comportement des fonctionnaires internationaux, suspectés notamment de sympathies communistes …. »

« …. je veux ici porter témoignage sur l´homme que j’ai pratiqué. Pas l´homme privé que je connais pourtant. Nul n’est mieux placé que sa famille et ses proches pour dire sa simplicité, , sa générosité, son honnêteté, son humanisme, sa délicatesse, son soucis d’assumer toutes ses apparences, à commencer par l’africaine ….» Henri Lopes ancien premier ministre du Congo, ami et proche collaborateur de Amadou Mahtar Mbow au sein du secrétariat exécutif.

« Amadou Mahtar Mbow a été un remarquable coordinateur, un Directeur général inventif et, pour beaucoup d’entre nous, un ami chaleureux auquel, dans mes souvenirs, se joignent l’image et la personnalité exceptionnelle de Madame Mbow ». Gisèle Halimi Ambassadrice de France auprès de L´UNESCO d’avril 1985 à septembre 1986

« Amadou Mahtar Mbow: le courage, la vision, la résistance. À Dakar, où l’on a fêté les 90 ans de ce sénégalais universel, j’ai souligné les traits les plus marquants de sa personnalité : la capacité d’anticipation, d’être un vigile pour prévenir, prévoir, anticiper. Toutes choses que j’ai vécues de très près, mais j’ai pu admirer aussi – et je veux le souligner aujourd’hui – son immense courage : rester debout à contre vent, rester debout et, avec lui, cette Organisation, quand on le voulait à genoux ». Federico Mayor Ancien Directeur Général de l´UNESCO (1987-1999).

« (…..) Vous avez dit Monsieur Mbow, vouloir parler la voix de l´Afrique, et c’est dans le génie du peuple africain, dans sa sagesse, que vous avez voulu puiser d’abord vos raisons d’agir. L`UNESCO s’est également diversifié, pour être à l’image du monde, et mieux comprendre son évolution. C’est à cette époque que l´UNESCO a lancé le projet d’une Histoire générale de l´Afrique, pour travailler à la reconstruction de la mémoire des différents peuples, surtout ceux dont l’histoire avait été niée pendant longtemps.

Le souci de protéger la diversité du monde est inséparable de la volonté de faire valoir l’égalité ».  Irina Bokova Directrice Générale de L´UNESCO 2009- 2017.

Voila un aperçu sur l’envergure de l´homme que sa famille, ses amis, le Sénégal, l´Afrique et le monde viennent de perdre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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