Gaston Madeira, hommage à une icône dakaroise et figure emblématique de l’Art contemporain sénégalais

Laure Malécot • Quand j’ai appris, je peignais, par la force d’une longue coupure d’électricité qui a touché le pays pendant plusieurs heures et m’a sortie d’un montage. Je te vois en rire, dire que le Sénégal entier s’est éteint pour saluer ton départ. Il n’y a pas de hasard. Que de drôles de coïncidences. Ça m’a rappelé l’île de Ngor, cette époque sans électricité quand nous peignions à la lueur des bougies…

Gas, je ne peux tenir un pinceau sans penser à toi. Régulièrement, depuis 30 ans, je t’envoyais les photos, la peinture à peine sèche, j’attendais ton avis. Ta franchise m’était essentielle (que ce passé est dur à écrire !). C’est toi qui m’as donné confiance et exposé mon travail pour la première fois aux Ateliers de Ngor, galerie que tu as fondé en 1996 sur ton île chérie où tu as vécu plus de 30 ans. « Monsieur le maire ! » t’interpelle-t-on sur la plage où tu aimais te baigner dès tôt le matin. Nous y avons partagé quatre ans d’aventures artistiques et humaines très fortes qui nous souderont à jamais, avec les artistes Pape Coulibaly, Waddal, Omar Lionel Sow, ton frère, Pape Teigne Diouf, Moussa Baydi Ndiaye, Philippe Sene, et ceux de ton entourage : Bouna Medoune Seye, ton ami, Joe Ouakam notre Grand, Kré Mbaye, Zulu Mbaye, et j’en passe ; Pendant tout ce temps, tu as toujours subvenu à nos besoins les plus immédiats dans les périodes de dèche. Le tiep était toujours servi à la galerie pour nous. Nous ne manquions jamais de toiles, de peinture et de châssis. Tu savais nous pousser plus loin que le raisonnable. Tu aimais notre folie, et au fond, tu étais bien plus qu’un manager, galeriste, ami. Tu avais une âme d’artiste. Je t’ai vu dessiner magnifiquement, il y a longtemps. Et puis, la musique, qui tenait une grande place dans ta vie. Ton compagnonnage avec Youssou Ndour, que tous savent, n’est que la partie immergée de l’immense travail que tu as fait pour les musiciens sénégalais. Tu encourageais les jeunes, conseillais, soutenais, écoutais beaucoup, connectais les bonnes personnes pour faire avancer les carrières. Tu savais organiser, rassembler. Nous te devons le festival multiculturel sur l’île de Ngor, le Jokko, et, si on remonte dans les années 80, les premiers grands concerts gratuits à Dakar tels que Kassav, qui a marqué les esprits. Puis, Ñetty guy, les 3 baobabs (Zulu Mbaye, Kre Mbaye, Moussa Baydi Ndiaye), quand tu as initié ton idée : rassembler des artistes, les porter loin, dans les salons internationaux, car tu avais plus d’ambition pour eux qu’eux-mêmes. Tu été un des pionniers à porter haut l’Art contemporain sénégalais.

Le souvenir le plus marquant qui me restera est cette exposition en 2001, Ndaje, à Paris dans le Marais. Tu avais réussi un pari énorme. Faire venir 7 peintres sénégalais, exposer une centaine de toiles. Les murs en étaient couverts du sol au plafond, comme à la galerie de Ngor. Ça a fait parler et nous avions beaucoup vendu. Malheureusement, après cette folie magnifique, les peintres sont partis. Un à un. Moi compris. Vers l’Europe, nos vies sans toi. Tu n’as pas continué la galerie sans nous. Tu aurais pu. Ça ne t’intéressait pas de vendre des toiles sans vie ; ce que tu aimais, c’était cette interaction avec les artistes. Ces toiles fraîches qu’on livrait le matin et qui se parlaient. Qui te parlaient. Tu nous comprenais. Tellement bien ! Mieux que nous-même parfois.

C’est toi qui m’as donné l’amour du Sénégal, et même après dix ans d’absence, quand je suis revenue tu étais là, aidant, aimant. Il n’y a qu’avec toi que je pouvais échanger des « je t’aime » naturels et purs. Oui, Gas, il y avait tellement d’amour dans tout cela. Énormément de compréhension mutuelle. Des moments de froid, on en a eu, on ne traverse pas tout ce temps sans dommages. On a perdu du temps à se bouder, et toujours quelqu’un intervenait pour nous réconcilier, parce que ça nous rendait malheureux l’un comme l’autre. Tu avais tes aspérités, ta grande bouche parfois trop franche, mais je ne pouvais jamais t’en vouloir longtemps de rien. Je n’ai jamais su pourquoi dès le départ je t’ai senti comme de ma famille. Famille que je n’ai pas. Surtout pas de père, que tu as, en quelques sortes, remplacé. Tu me présentais tantôt comme « ton peintre », ou « ta fille », et je garde les deux bien au chaud dans mon cœur.

Tu vas manquer à tellement de gens. Ton départ laisse un immense vide dans le Dakar culturel, et ton île est orpheline.

Mes pensées vont vers ta famille, tes amis, tous ceux que tu aimais réunir chez toi, sur l’île.

Par l’Art tu seras toujours là. Nous te rendrons hommage, à la hauteur de ce que tu nous a donné : une vie pour l’Art.

Photo Une ©: Oeuvre de Mbaye Diop sur l’île de Ngor 

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