Charles Mingus, un musicien en colère

Dans vidéo initialement publiée en mai 2023 et devenue virale ces derniers jours, la Vice-présidente américaine Kamala Harris sort d’un magasin d’un disquaire. Parmi ses achats  trois albums de jazz classiques d’artistes afro-américains notables notamment Let My Children Hear Music de Charles Mingus de 1972. Kamala Harris ne l’a pas choisi par hasard. Contrebassiste et pianiste Charles Minguis, est une des figures les plus importantes de la musique américaine du XXe siècle. Comme pour Monk ou Miles Davis, écouter Minguis, ce n’est pas seulement écouter une musique. C’est écouter une culture et un discours politique. C’est écouter une réalité, une colère. Minguis était un musicien en colère !

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Mingus utilisera sa scène comme tribune pour aborder des sujets tels que le mouvement des droits civiques

« La musique est, ou était, un langage des émotions. Si quelqu’un fuit la réalité, je ne m’attends pas à ce qu’il aime ma musique, et je commencerais à m’inquiéter si une telle personne commençait vraiment à l’aimer », écrit Charles Mingus à Miles Davis, dans une lettre publique publiée en 1955. Le message est clair : il est impossible d’apprécier la musique de Charles Mingus sans faire face à la réalité de son monde.En tant que musicien de jazz noir en pleine ségrégation américaine et lutte pour les droits civiques, Charles Minguis a choisi sa musique comme arme pour défendre sa communauté et transmettre des messages puissants. 

Né sur une base militaire à Nogales, en Arizona, en 1922 et élevée à Watts, en Californie, ses premières influences musicales sont lieux de l’église – chant de choral et de groupe – et d’avoir « entendu Duke Ellington à la radio quand [il] avait huit ans ». vieux. » Il a étudié la contrebasse et la composition de manière formelle (cinq ans avec H. Rheinshagen, bassiste principal du New York Philharmonic, et les techniques de composition avec le légendaire Lloyd Reese) tout en s’imprégnant de la musique vernaculaire des grands maîtres du jazz. Ses premières expériences professionnelles, dans les années 40, l’ont amené à tourner avec des groupes comme Louis Armstrong, Kid Ory et Lionel Hampton.

Mingus utilisera ainsi sa scène comme tribune pour aborder des sujets tels que le mouvement des droits civiques, dans It was a lonely day in Selma, Alabama, l’autodétermination noire dans Haitian Fight Song, et même la prolifération nucléaire dans Oh Lord, Don’t Let Them Drop That Atomic Bomb on Me. Controversée aux Etats-Unis, on lui de mande de ne pas annoncer les titres de ses chansons lors de ses concerts.

Il s’installe à New York où il joue et enregistre avec les plus grands musiciens des années 1950 : Charlie Parker, Miles Davis, Bud Powell, Art Tatum et Duke Ellington lui-même. Mingus, l’un des rares bassistes à le faire, s’est rapidement développé comme un leader parmi les musiciens. C’était aussi un pianiste accompli qui aurait pu faire carrière en jouant de cet instrument.

Au milieu des années 50, il avait créé ses propres sociétés d’édition et d’enregistrement pour protéger et documenter son répertoire croissant de musique originale. Il fonde également le « Jazz Workshop », un groupe qui permet à de jeunes compositeurs de faire interpréter leurs nouvelles œuvres en concert et sur enregistrements.

Le 3 septembre 1957, comme le rappelle Léopold Tobisch dans son article intitulé: « Charles Mingus : un siècle de colère musicale » sur Radio France, dans l’Arkansas, neuf élèves afro-américains sont inscrits à la Little Rock Central High School. Bien que la cour suprême des États-Unis a mis fin à la ségrégation raciale dans l’enseignement public le 17 mai 1954, les élèves sont empêchés d’entrer dans l’établissement par les autorités de l’Arkansas, sous ordre du gouverneur de l’Arkansas, Orval Faubus, ce dernier souhaitant maintenir les lois ségrégationnistes de son Etat.

En conséquence à cette grande injustice raciste, le jazzman colérique Charles Mingus se met alors à composer sa puissante Fables of Faubus, avec un échange de paroles engagées entre Mingus et son batteur Dannie Richmond, typique des chansons de contestation à l’époque :

Oh Lord, don’t let ‘em shoot us! / Oh Seigneur, qu’ils ne nous tirent pas dessus !
Oh Lord, don’t let ‘em stab us! / Oh Seigneur, qu’ils ne nous poignardent pas !
Oh Lord, don’t let ‘em tar and feather us! / Oh Seigneur, qu’ils ne nous goudronnent et ne nous plument pas !
Oh Lord, no more swastikas! / Oh Seigneur, plus de croix gammées !
Oh Lord, no more Ku Klux Klan! / Oh Seigneur, plus de Ku Klux Klan !
Name me someone who’s ridiculous, Dannie / Donne-moi le nom de quelqu’un qui est ridicule, Dannie
Governor Faubus! / Le gouverneur Faubus !
Why is he so sick and ridiculous? / Pourquoi est-il si malade et ridicule ?
He won’t permit integrated schools / Il n’autorise pas les écoles intégrées
Then he’s a fool! / Alors c’est un imbécile !
Boo! Nazi Fascist supremists! / Boo ! Suprémacistes fascistes nazis !
Boo! Ku Klux Klan (with your evil plan) / Boo ! Ku Klux Klan (et ton plan diabolique)

La chanson est enregistrée pour la première fois sur l’album Mingus Ah Um, mais le label Columbia Records trouve les paroles trop controversées, et la chanson ne sera publiée que dans sa version instrumentale. Ce n’est qu’en 1960 que Mingus parvient à ajouter les paroles à sa musique, dans l’album Charles Mingus Presents Charles Mingus, publié par le label indépendant Candid Records. En raison d’un problème de contrats avec Columbia, la chanson ne peut pas porter le nom Fables of Faubus, et sera donc intitulée Original Faubus Fables.

Mingus se retrouve bientôt à l’avant-garde de l’avant-garde. Ses enregistrements témoignent de l’œuvre extraordinairement créative qui a suivi. Ils comprennent : Pithecanthropus Erectus, The Clown, Tijuana Moods, Mingus Dynasty, Mingus Ah Um, The Black Saint and the Sinner Lady, Cumbia et Jazz Fusion, Let My Children Hear Music. Il a enregistré plus d’une centaine d’albums et écrit plus de trois cents partitions.

 

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