Elles ont toutes les formes, toutes les couleurs, toutes les longueurs, des épaisseurs variées, même les textures diffèrent. Elles, ce sont les dreadlocks, longtemps assimilées à la posture des « ñakk kilifë », ceux qui font ce qu’ils veulent et comme ils le veulent, se moquant comme d’une guigne des commentaires peu amènes de leurs concitoyens.
Naguère parure des clochards peu préoccupés par leur apparence ou par des adeptes de la philosophie rasta noyés dans des fumées peu recommandables, les locks sont devenus en moins d’une décennie la coiffure branchée par excellence, surtout pour les femmes.
Il n’y a pas si longtemps, pour être une femme fréquentable socialement, professionnellement et même amoureusement, il fallait arborer un teint clair et des cheveux lisses. Celles qui osaient le cheveu naturel étaient soient folles abandonnées à elles-mêmes, soit de dangereuses féministes, dont l’emmêlement de la chevelure devait forcément être le reflet de celui de la pensée. Entre fascination et mépris au gré des époques, les dreadlocks ou « tignasse de la peur » au sens étymologique du terme, ont longtemps été considérées comme la coiffure négligée par excellence, celle des Baay Faal et même des « bul faale » quand elle n’était pas assimilée à la plique polonaise, maladie décrite comme « due à l’excessive malpropreté des systèmes pileux et cutané. Elle est bien faite pour produire des affections du cuir chevelu, et, par sympathie, certaines maladies cérébrales, ou celles des organes de la tête. »
On imagine la tête des « dreadlocksés » comme une toison non pas d’or mais infestée de poux et de lentes, sale et puante au point qu’on oublierait presque que les dreadlocks, portées bien avant les adeptes du mouvement rastafari et du Roi Marley, ont longtemps été l’apanage dans l’Egypte ancienne, des personnes de pouvoir.
La chevelure a été et reste pour les femmes africaines un enjeu de la plus haute importance. Depuis toujours, elles portent les coiffures les plus sophistiquées, maltraitant quelquefois leur chevelure pour en obtenir une parure unique, objet de fantasmes et de curiosité. Qui ne se souvient pas de la chaux utilisée pour se défriser dans les marchés ou des tresses tellement serrées sur la tête qu’il faut acheter une boite de Doliprane avant de s’y hasarder ?
Le temps de la torture est dépassé désormais et le chignon lisse est désormais de la plus haute ringardise. Adieu brosses, peignes, rasoirs, ciseaux pour dompter les crinières sauvages et indisciplinées.
Autrefois rebelles, incoiffables si ce n’est en perturbant leur nature intrinsèque, nos cheveux sont aujourd’hui vibrants, vivants, versatiles même, se prêtant à toutes les variations, à tous les styles.
Pour les adeptes du défrisage, tout commence par le big shop. Oui, on fait tabula rasa, on élimine toute trace de l’ancienne vie. Le cheveu raide est l’ennemi. On l’élimine à grands coups de rasoir sans regret comme si l’on se débarrassait aussi de son ancienne vie, de ses complexes. Ensuite on laisse pousser. On soigne, on bichonne, on cultive les nouvelles pousses qui bientôt se mueront en locks triomphantes. On aime son cheveu et on le lui montre. Les plus radicales, certains diront les plus authentiques, laisseront faire la nature. Les cheveux s’emmêleront, s’entortilleront tout seuls comme des grands pour former une forêt de lianes uniques, rondes ou plates, de longueurs diverses. Pour d’autres, on passera par le locking, le palmrolling ou le twisting, qui permettent une multitude de styles. Avec une éponge ou du gel, en twists, en vanille ou au crochet, on se fait des sister locks, des dreadlocks et même des microlocks qui se comptent par centaines sur la tête. Porter des locks, c’est chic, c’est tendance. On s’affirme, on ose, on s’assume. Toute une industrie portée par un nouveau lexique s’est créée autour de cette coiffure tant décriée, jadis. Il y a désormais des capilliculteurs, des lockticiens, des cheveutologues qui étalent leur science du cheveu à grand renfort de produits nouveaux car ce qui se joue dans l’entretien des cheveux va bien au-delà de la beauté. C’est une question de vie de mort, une question de reconnaissance de soi, de son identité. Alors on va chez sa lockseuse tous les mois pour un entretien souvent coûteux mais qui vous laisse une impression bienfaisante de liberté, réparatrice des traumatismes et des normes de beauté étrangères subis. Porter des locks aujourd’hui c’est entrer dans un cercle vertueux, un club select, voire une caste de femmes chics et assumées qui partagent des ambitions communes, une vision d’elles-mêmes valorisante.
D’ailleurs, même les femmes voilées s’y mettent et il n’est pas rare que derrière l’épaisseur d’un voile se cache l’imposante chevelure d’une raiponce noire. Dire que nous étions persuadées que nos cheveux ne poussaient pas !
Laisser un commentaire