Le peuple des moutons a commencé sa grande migration. Ils déferlent par millions vers les points de vente, ça et là dans les régions, les croisements, les lieux les plus improbables. Dewenati !
Béliers de la patriiieuh, le jour de gloire est arrivé ! Dakar est devenu leur fief. Ils avancent fièrement, résolument vers leur jour. Objet de tous les fantasmes, rêves ou cauchemars, ils n’en ont cure.
Ils broutent tranquillement leur ngooñ, ripaas ou cartons et se moquent des soucis des humains, soudain tremblant devant eux.
Il en est des gros et gras, hauts sur pattes, affichant des airs de patriarche qui vous regardent de haut. Ceux-là sont vernis. Les humains sont aux petits soins, les bichonnent, les massent, les suppliant d’avaler la bonne nourriture qu’ils sont allés chercher loin, très loin. D’autres, conduits par des peuls secs et pressés sont priés de ne pas faire de manières. De toute façon la nourriture et l’eau sont rares. Il faut jouer du sabot pour avoir sa part.
Certains sont faméliques, poussiéreux et doivent même céder la place à un barbu, monsieur le bouc, vous êtes démasqué! Le maquillage le plus opaque ne vous transformera pas en mouton et vous restez une solution de pis aller. Alors, priorité aux vrais moutons!
Ce ne sont pas seulement les boucs qui s’essaient à la triche. Les humains, rompus à cet exercice, habillent indûment certains béliers en leur ceignant le col de colliers rouges, apanage des vrais champions. Ils n’ont pas tout à fait la taille requise et peuvent prêter à confusion. On peut se faire avoir si on n’y prend garde.
Il y a quelques années, j’avais eu le sentiment d’avoir fait l’affaire du siècle en achetant, de nuit, un beau bélier ceint du collier rouge. L’empressement du vendeur à fourrer les billets dans sa poche ne m’avait pas mis la puce à l’oreille. J’avais débarqué ma trouvaille en souriant. Monsieur mon mari venait d’attacher sa bête. La mienne faisait pâle figure. On aurait dit le père et le fils. Mon gardien enfonça le clou en me disant que mon mouton avait … l’air intelligent ! Je n’attendis pas plus de commentaires.
Les rues de Dakar sont envahies d’ovins pressés de gagner leur place au paradis. Les rescapés attendront le retour des pèlerins en priant de ne pas subir la disgrâce d’un retour au bercail peu triomphal.
En attendant, le peuple des ovins rumine, se prélasse, mime les combats héroïques interdits. Les béliers trop impétueux se font tancer quand ils risquent un coup de corne qui réduirait les efforts de vente à néant. Ils ont intérêt à ne pas faire de poussée diarrhéique ni à avoir le ventre trop proéminent, signe de maladie, ni, faute de brebis disponible à s’amuser à des jeux interdits avec d’autres mâles. Ils se verraient méprisés et recalés à la vente. Les philosophes parmi eux ont bien de la matière à réfléchir. Quelle tragique destinée ! Les vendeurs de couteaux, de machettes et de cordes passent et repassent sans égard pour vous et la plupart des badauds vous voient comme des gigots ambulants. Seule la taille compte !
Pauvres moutons ! Pendant qu’ils attendent l’heure fatidique, les femmes se demandent quel sera leur lot cette année. Rey mu dee, reyul mu dee ou kuy bu duuf? La bourse de l’époux compte peu. Il aura intérêt à acheter la paix pour régaler la maisonnée sinon, c’est le divorce qui pointe.
Quant à moi, je dis merci à toutes ces bêtes qui se sacrifient pour que nous ayons une Tabaski de rêve. Dewenati !
Merci aussi de m’avoir permis de lever mes yeux des copies de bac dont je me demande toujours dans quelle langue elles sont écrites.
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