Les postures manichéennes de nos personnels politiques placent insidieusement le pays dans l’impasse. En fait ce qui étouffe, c’est qu’ils ne veulent pas laisser devenir vivant notre désir d’un monde de libres égaux, qu’ils ne réussissent plus à faire entendre la nécessité de laisser respirer les utopies.
Et ce désir s’abolit en jouissance mortifère, soit qu’on file une nostalgie mélancolique et impuissante de la lumière, soit qu’on soit prêt à jouer le jeu de l’adversaire, quitte à y perdre son âme.
Desserrer l’étau de la haine entre le Président Macky Sall et Ousmane Sonko est une impérieuse nécessité. Il faut aboutir, ensemble, à un relatif consensus autour de l’intérêt général issu de la confrontation des idées, du bon sens et imposer si nécessaire un «consensus par défaut », pour resserrer les ressorts d’une démocratie dévitalisée.
Une fois que les adversaires peuvent se voir comme des personnes authentiques avec des points de vue sincères, qui peuvent entretenir des conversations tout en reconnaissant le valeur d’être de chacun et accepter pour chacun le droit d’avoir des points de vue différents sur des questions importantes, ils pourront transcender les conditionnements qui les isolent ou les clôturent dans le cercle restreint et souvent toxique de leurs relations immédiates pour qu’ils puissent s’ouvrir l’un à l’autre malgré le passif de l’adversité.
Mais comment se fier à un prince dont l’identité remarquable est la versatilité des postures et le pouvoir incisif de la manipulation ?
La manipulation est en symbiose avec l’esprit du machiavélisme : tous les moyens sont bons, y compris l’instrumentalisation des personnes, des idées et des groupes dans un but qui ne leur est pas forcément dévoilé, mais toujours en lien avec la conquête et l’exercice du pouvoir. Il y a en permanence une volonté de manipuler ceux qui peuvent vous aider de même que les adversaires, soit pour les rallier soit pour les discréditer. Car la manipulation, inhérente à la vie politique, fonctionne en général par rapport à un troisième acteur : l’opinion.
Qui connait le prince, sait qu’il domine, ordonne, rappelle fermement les procédures, le référentiel et en profite pour contrôler abusivement.
Il appartient à Ousmane Sonko , dans ces situations, d’étudier selon le canevas théorique proposé – l’homme « rationnel »/l’homme «rationalisant », soit l’opposition entre l’homme qui, même s’il n’obéit pas à une rationalité cartésienne se réfère à une logique du vraisemblable (il pense avant d’agir) versus celui qui rationnalise ce que les circonstances lui ont imposé comme comportement – d’étudier (en fonction de prémisses «anthropologiques ») les arguments utilisés, les figures de style employées, en fait les différentes techniques de « manipulation », le plus souvent étroitement imbriquées, consciemment ou inconsciemment mises en œuvre : jeux sur la relation, recadrages, sophismes, emplois du langage du récepteur, confusions-saupoudrages, pieds-dans-la-porte, amorçages et autres escalades d’engagement, etc…
Et d’ailleurs, s’il y a quelqu’un qui maîtrise la nature intrinsèque de Macky Sall, c’est bien Ousmane Sonko pour lui avoir opposé depuis quelques années une résistance farouche à toutes ses tentatives de réduction à néant et lui avoir appliqué en échange de ses funestes procédés de douchants effets boomerang.
C’est dire donc l’importance des épreuves pour forger un destin. C’est le virus inoculé par le vaccin qui produit l’immunisation. La vitalité démocratique suppose donc un moment de contamination du virus. Cela signifie que le pouvoir du négatif n’est pas seulement une invention de Hegel, mais qu’il constitue une composante essentielle de la vie. Il nous faut ainsi l’apprivoiser, l’intégrer selon une juste quantité pour aspirer à devenir un homme d’État.
En contrôlant cette violence continuelle, exercée sur lui et ses partisans depuis la création du parti Pastef, suite à sa radiation en 2014 et en mode rouleau compresseur depuis les tragiques événements de mars 2021, en la ciselant avec dévotion au cœur de soi, Sonko s’est subordonné sa condition plutôt que de lui être soumis.
Nulle épreuve n’est plus significative pour attester de sa détermination aux yeux des autres, et surtout par rapport à ses convictions propres. C’est un Ousmane Sonko, transfiguré, plus résilient que jamais et doté d’une intelligence politique plus affutée et d’une stratégie de déploiement médiatique plus percutante qui s’est offert à notre entendement.
Pour conclure ce rapide panorama, nous dirons que nous concevons ce dialogue potentiel entre adversaires frontaux, que d’ailleurs, beaucoup considèrent inopportun, comme une matière de recherche en communication persuasive, une « recherche-action », dans la mesure où, à terme, il est question de mettre en pratique les éléments théoriques élaborés ou réfléchis dans l’abstrait, c’est-à-dire, avant tout, de faire preuve (autant que possible) de lucidité, et ce quelque soit la situation.
C’est en connaissant les pratiques et les techniques de communication persuasive que l’on peut à la fois se prémunir efficacement contre la persuasion et la manipulation et,
le cas échéant, persuader ou manipuler soi-même.
Un duel de rusés en perspective que Macky n’a aucune chance de remporter car il a atteint ce crucial moment destituant où il ne joue pas que sa survie politique mais signe l’échec patent d’un régime qui, à force de susciter de la désaffection, peine à se renouveler, créer du sens et ouvrir une nouvelle séquence politique.
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