Comment expliquer la résilience de l’industrie russe face aux sanctions ? (Jacques Sapir)

Comment expliquer la résilience de l’industrie russe face aux sanctions ? Jacques Sapir – Directeur d’études à l’EHESS – Directeur du CEMI – Membre étranger de l’Académie des Sciences de Russie

La résilience de l’industrie russe, et plus généralement de l’économie russe dans son ensemble face aux sanctions occidentales, interpelle. En dépit de prévisions catastrophistes émises par l’OCDE ou par la Banque mondiale en avril-juin 2022, les résultats – confirmés par la récente mise à jour du FMI[1] – montrent que l’économie russe a bien résisté au choc des sanctions. Après avoir été un temps nié dans la presse occidentale, et dans la presse française en particulier, ce fait semble désormais admis. Pour autant, il n’est pas expliqué. Le présent texte se veut une première tentative d’explication.

L’économie russe a démontré d’importantes capacités d’adaptation devant les sanctions prises par l’Union européenne et les États-Unis, sanctions qui constituent à ce jour l’ensemble le plus important et le plus radical de sanctions prises hors état de guerre[2]. La réaction de l’économie et de l’industrie a été remarquable, comme le montre l’enquête menée par l’Institut des Prévisions Économiques de l’Académie des Sciences de Russie[3]. Dès le début du mois de septembre 2022 on pouvait voir apparaître des premières lueurs d’espoir quant aux résultats économiques[4], lueurs qui se sont confirmées dans les mois qui ont suivi. Ceci était notamment vérifié dans de nombreux secteurs comme l’industrie[5], la construction ou l’agriculture dès le mois de septembre.

L’industrie, en particulier, présente des résultats pour 2022 qui sont remarquables, -0,3% par rapport à 2021[6], si on les compare à l’ampleur des sanctions prises. De plus, le FMI anticipe un résultat positif pour 2023 (+0,3%) et une croissance forte dès 2024 (+2,1%). Ces chiffres sont meilleurs que ceux que prédisait encore le 26 décembre 2022 les collègues de l’Institut de Prévision Économique de l’Académie des Sciences, dans leur bulletin n°56[7].

Ces résultats sont largement le produit de la remarquable résilience de l’industrie face aux sanctions. Cette dernière, après le choc des sanctions, a retrouvé un profil sur l’année 2022 très similaire à celui de 2021. Si le choc instantané a été brutal, il ne s’est pas traduit par des effets de moyen ou de long terme. Il est donc probable que la production industrielle se remette à augmenter dès la fin du 1er semestre de 2022. Le taux d’utilisation des capacités de production[8], qui est un bon indicateur de l’activité industrielle, aurait atteint – suivant les informations communiquées par UNICREDIT[9] – les 86%. Or, en régime « normal » on est actuellement plus généralement autour de 78% à 82% suivant les pays[10]. Ceci constitue bien une indication indirecte que l’activité industrielle est très élevée actuellement en Russie. Plusieurs raisons expliquent cette situation.

Les causes de la résilience

La première, et elle est évidente, est le basculement partiel de l’économie russe en « économie de guerre », qui était déjà noté dans une étude réalisée par Julian Cooper en octobre dernier[11]. On parle ici d’un basculement partiel car il ne semble pas que des installations dédiées à des productions civiles aient été converties à la production militaire. Mais, cette dernière a visiblement un degré de priorité important, qui a entraîné une production à un régime de 3 x 8 et cela sept jours sur sept. Si l’on ne dispose pas de données précises quant à la production d’armement, les hausses des revenus salariaux dans les régions où sont situées les principales usines d’armement, Oural et Sibérie occidentale, témoignent du passage au 3 x 8 dans cette industrie[12]. Les salaires réels ont connu des différences importantes sur les 3 premiers trimestres de 2022. Il y a une hausse nette dans les districts fédéraux de l’Oural et de la Sibérie, une hausse relative à la moyenne dans le district fédéral de Volga-Vyatka. L’investissement (FBCF) a lui aussi fortement augmenté avec des pics dans les districts fédéraux d’Extrême-Orient (induit par le commerce avec l’Asie), de l’Oural, de Sibérie et Volga-Vyatka. Tout ceci pointe vers une forte montée en puissance des industries militaires. Ce passage a dû être effectué au mois de juin dernier. Il a nécessairement un impact sur la production totale.

La deuxième raison est le rétablissement progressif des importations[13]. Plusieurs études occidentales décrivent ce phénomène[14].La Suite ICI: les-crises.fr/industrie-russe

© BALTEL/SIPA Crédits : SIPA

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