Zé Belinga . Arthur Lewis caribéen, panafricaniste, seul noir « prix Nobel d’économie. 29 septembre 1979. La bibliothèque panafricaniste est, dans le monde nègre, la plus fournie et la plus stimulante si ce n’est en quantité du moins en qualité d’ouvrages, de mobilisations, de personnalités emblématiques.
Les sciences économiques, supposées plus austères et cryptées par un arsenal de formalisations mathématiques, paraitraient évoluer en dehors des questions existentielles qui traversent Africains et Afrodescendants depuis des siècles. Il n’en est rien pourtant et Arthur Lewis (1915-1991), l’économiste originaire de Sainte Lucie, seul noir récipiendaire du « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire de Alfred Nobel » (prix Nobel d’économie) témoigne de l’étendue et de la profondeur de la bibliothèque panafricaniste.
Le natif de Sainte Lucie passé de l’élève très précoce à l’économiste de renom dans les années 1950 avait eu une jeunesse britannique marquée par les grandes questions du monde noir. Il avait été en effet foncièrement antiraciste, anticolonialiste, et ainsi qu’il l’écrirait lui-même en 1965 dans son ouvrage intitulé « Politics in West Africa », panafricaniste. Le petit garçon qui avait assisté à une réunion de partisans de Marcus Garvey emmené par son père, devenu grand, enseignant à la prestigieuse London School of Economics, avait rencontré quasiment toutes les grandes personnalités du monde panafricaniste et anticolonialiste de Grande Bretagne : C L R James, George Padmore, Nkrumah, Eric Williams, Paul Robeson entre autres.
Arthur Lewis était présent à Accra le 6 mars 1957 pour les célébrations de l’accession à l’indépendance de l’ancienne « Gold Coast » britannique. Il devint cette même année un conseiller économique de Nkrumah payé par les Nations Unies. Cette articulation entre Africains et Afrodescendants a été récurrente en plusieurs lieux en Afrique pendant la période dite de « décolonisation ». Les idées de l’économiste Arthur Lewis étaient favorables à une intervention appropriée et efficiente de l’état dans l’économie et opposées aux théories du laisser-faire. Lewis pensait que le développement industriel en Afrique notamment devait commencer par l’agriculture et l’élévation de la productivité de ce secteur confronté en ces temps à une surabondance de terres (Afrique de l’ouest). Un équilibre était à trouver entre agriculture et industrie, entre secteurs urbains et ruraux, entre production pour l’exportation et production domestique. Fin observateur, il fut un des rares économistes à relever l’importance des secteurs artisanaux qu’il estimait à une valeur normative de 5% de la richesse crée. Les idées de Lewis en matière politique anticipaient les nécessaires évolutions ultérieures des sociétés africaines. Il prônait le consensus dans des sociétés plurielles marquées par des différences et fragmentations ethniques, linguistiques, en plus d’une stratification verticale en fonction des rapports de production.
Le métier d’économiste se heurta dans ce Ghana renaissant aux dures réalités politiques d’un pays en quête de stabilité. L’économiste et conseiller de Nkrumah tenta vainement d’infléchir nombre de projets qui lui paraissaient injustifiés, les allocations allant souvent dans des secteurs non prioritaires, confinant à des « éléphants blancs ». 50% du budget du pays devaient aller à la capitale Accra qui ne représentait que 5% de la population dans le draft de budget que Nkrumah avait présenté à un Lewis interdit ! L’essentiel des rentes de la cacao-culture était réparti suivant des logiques partisanes ou de patronage politique. Nkrumah quant à lui n’avait de cesse de lui répéter que s’il avait besoin des avis d’un économiste, il décidait en définitive en fonction de critères politiques : « seek ye the political kingdom first ». Arthur Lewis quitta sa mission qui était mise sous l’égide de l’ONU face à l’impossibilité de faire entendre sa voix, celle d’un état justement interventionniste, car si l’action publique devait corriger les failles du marché, elle ne devait pas en créer de nouvelles.
La collaboration de Lewis et de Nkrumah montre les difficultés de la décision politique sur des fondements économiques, en période de décolonisation de surcroit, l’état étant appelé à toutes les urgences contradictoires, celles des partisans, des oppositions, des agences de développement, des services coloniaux (coopération aujourd’hui). Elle est aussi une expérience à mûrir de relations panafricanistes à faire revenir, d’une façon ou d’une autre, dans les nouveaux cadres imaginant les futurs africains avec les diasporas, leurs expertises comme ressources stratégiques dans le processus d’émancipation africain.
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