Lundi matin. Il est 6 heures 45 mn. Le soleil n’est pas encore sorti. La plage de N’gor grouille de monde. Ambiance inhabituelle pour le non initié. Hommes, femmes, jeunes, vieux…en tenue de sport de plage, font des étirements sur le sable. Bientôt, tous suivent un homme qui semble être leur coach. Ils se dirigent dans l’eau et s’apprêtent à prendre un drôle de bain. C’est cela l’Aquagym. Autrement dit, de l’exercice physique dans l’eau. Leur coach se nomme Ndiambé Samb. Après 37 ans passés chez les Sapeurs-pompiers, ce maitre-nageur-sauveteur, spécialiste des interventions aquatiques et subaquatiques, s’est consacré à l’aquagym. Faisant ainsi de N’gor un des rares endroits au monde où l’aquagym en mer et la réparation se pratiquent. Il se faisait jusqu’ici exclusivement en piscine. Humble et extrêmement avenant, Coach Ndiambé avec ses équipes, en plus d’offrir un sport relaxant aux gens valides, réparent des malades du cœur, des poumons, les victimes d’AVC, ceux qui souffrent des problèmes de nerfs…la liste n’est pas exhaustive.
Trois groupes s’activent sur la plage de Ngor. Le premier autour de Ousmane, un des moniteurs, s’adonne à l’aérobic. Le second groupe est avec coach Doudou. Frites en main, (pas la nourriture mais plutôt frite en mousse pour natation), eau de mer jusqu’à la taille, ses membres commencent des mouvements plus ou moins coordonnés. Le dernier groupe travaille dans le sable en bordure de mer. Pieds enfoncés dans le sable jusqu’aux genoux pour certains, les bras jusqu’aux coudes pour d’autres, ils suivent les indications de Pape et « Teukou », deux des moniteurs préposés à ces exercices. Le sable de mer comme l’eau de mer a des vertus insoupçonnées, assure Pape.
Ndiambé a une formidable équipe. Ils sont 35 au total. 35 coachs dévoués et professionnels. Normal. Ils ont eu comme formateur Maitre Ndiambé. Chaque jour, comme ce matin, une dizaine, voire une bonne quinzaine est là et se répartit les groupes d’élèves.
Ndiambé Samb est un lébou bon teint. Cette communauté dakaroise est intimement liée à la mer. C’est dire s’il avait des prédispositions pour exercer un métier en lien avec la mer. Sapeur-pompier formé à Paris, le jeune Ndiambé impressionne donc à Dakar ses collègues et supérieurs dans les métiers de la mer. Ces derniers, le poussent alors à multiplier les formations. C’est ainsi qu’il se rendra à nouveau en France pour devenir maitre-nageur et spécialiste en interventions en mer. Ndiambé Samb est le premier africain à atteindre ce niveau et à subir une telle formation diplômante. Nous sommes en 1986.
Depuis 1986 donc, Ndiambé a formé l’essentiel des maitres-nageurs de la côte sénégalaise. Soit en tant que pompier soit au niveau de son école. Même les formateurs sortent aujourd’hui de son établissement. Son école est la seule reconnue officiellement par l’Etat en raison de ses diplômes.
« Lors de ma formation en France, nous étions en piscine. Le matin on travaillait avec les enfants et les après-midi avec les personnes âgées. M’occuper des personnes âgées m’avait alors particulièrement attiré et je me suis promis de le faire une fois rentré dans mon pays. Dès que je suis arrivé, j’ai créé mon école et j’ai pris des jeunes que j’ai formé au métier de maitre-nageur. C’est à ma retraite, en 2003 que j’ai décidé de m’occuper des personnes âgées et des personnes à mobilité réduite » renseigne l’expert aguerri.
Malgré toute son expérience et son expertise, Ndiambé continue de se former et de se perfectionner. Il a soif de connaissances pour toujours mieux transmettre.
« Je me suis rendu plusieurs fois à Toulon et plusieurs fois à Marseille pour subir des formations, soit en ce qui concerne la rééducation, le recyclage et s’ouvrir aux nouvelles pratiques. » renseigne le coach qui tout en discutant avec nous, tape à l’épaule d’un élève qui passe devant lui et encourage de la voix un autre encore en plein exercice.
Aujourd’hui, l’école des Dauphins est prisée et les bienfaits des cours de coach Ndiambé sur le corps de l’individu largement salués. Au premier de ceux-ci sont les professionnels de la santé. En effet, les médecins encouragés par les résultats de l’Aquagym sur leurs patients, envoient quasi quotidiennement de nouveaux élèves à Ndiambé.
« Nous avons au total près de 650 élèves et recevons chaque jour 100 à 150 personnes. 60% d’entre elles, sont envoyées ici par leur médecin. D’ailleurs parmi nos élèves, figurent 15 médecins. Les résultats vont au-delà de nos espérances et je crois profondément que la main de Dieu nous accompagne. Des gens nous viennent de la France et des États-Unis maintenant pour se soigner. Récemment nous avons accueilli une afro-américaine touchée par un AVC qui a séjourné au Complexe Keur Yaadikoone expressément pour suivre nos cours » raconte le moniteur tout en nous montrant du doigt l’île.
Victime d’un AVC, Mariama la soixantaine est arrivée en chaise roulante le premier jour. Trois mois plus tard, elle remarchait. Elle poursuit encore aujourd’hui sa rééducation dans l’eau de mer. Issa est quant à lui arrivé à l’école des Dauphins en béquilles après une grave maladie. Un mois après, il les jetait et se remit même au volant de sa voiture. Issa garde encore quelques séquelles mais sa guérison inespérée un temps est en bonne voie. Désormais, il est un inconditionnel des lieux.
Issa, un autre patient est un militaire. Il a autour d’une quarantaine d’année. Victime d’un AVC, il a débarqué chez coach Ndiambé sur les recommandations de sa hiérarchie qui a eu échos des bienfaits de l’école de N’gor. Assis à droite, la moitié du corps dans le sable, junior, un jeune souffrant de paralysie venue des États-Unis, suit notre échange.
« Les coachs sont formidables. Seulement 15 jours après mon arrivée, j’ai senti une amélioration drastique. Le travail dans le sable fait énormément de bien à mes membres » soutient confiant le soldat.
Salimata est cadre dans une banque. Sportive et en excellente santé, elle a trouvé avec l’aquagym le moyen de faire face au stress lié à sa profession et aux difficultés de la vie. Elle faisait du sport mais a flashé sur l’aquagym depuis qu’une de ses tantes, élève de Ndiambé lui a parlé des « miracles » de la plage de Ngor. Il faut dire que cela marche beaucoup par bouche à oreille.
« Le sport est vital pour l’être humain surtout avec le travail, la famille, les responsabilités et même la mauvaise qualité de l’alimentation. Depuis que j’ai découvert l’école des Dauphins, tous les matins avant le boulot, je viens faire ma séance et toute la journée j’ai la pêche. Dites à vos amis et parents de rejoindre l’aquagym. Je n’ai pas de tenue n’est plus excuse. Ils vendent des combinaisons ici » lance-t-elle toutes dents dehors. Le soleil n’est pas encore de sortie mais un petit groupe, le plus matinal, prend déjà congé.
Tout près de Salimata, deux autres dames qui viennent de sortir de l’eau se mêlent à la discussion et nous font savoir qu’elles aussi ont la pêche. Commerçantes qui vont souvent en Chine et Inde, Astou et Fabienne sont convaincues que c’est grâce à la pratique de l’aquagym, qu’elles sont aussi actives et énergiques.
Juste à côté, Samba est à fond dans ses mouvements. Il y a trois ans, ce dynamique consultant et professeur de marketing qui voyageait beaucoup, a vu sa vie prendre une autre tournure avec l’apparition de troubles multiples. Trouble de l’équilibre, ralentissement de ses mouvements et difficultés à parler. Samba passe deux ans en France pour se soigner. Sa situation ne s’améliore guère. Le diagnostic n’est pas très précis, on sait seulement que c’est lié aux nerfs. De retour au Sénégal, un de ses neveux, grâce au berger de l’île Abdoulaye Diallo, lui parle de l’aquagym. Samba s’inscrit chez les Dauphins et voit tout de suite un changement. Il tombait vite, il ne tombe plus. Il s’essoufflait rapidement, il est devenu plus endurant. En deux mois seulement, il a récupéré une petite mobilité. Malheureusement, la Covid-19 est apparue. Parmi les restrictions pour freiner la pandémie: il y a la fermeture des plages. Elle est venue ralentir sa guérison et celles des autres patients. L’arrêt des cours porte un sacré coup aux malades. Comment peut-on fermer un hôpital ? Les autorités publiques doivent de manière officielle autoriser l’école des Dauphins à poursuivre ses activités. Il est possible de mettre en place toute la logistique qu’il faut mais on ne ferme pas un hôpital. Il est indispensable.
Ce qui est indispensable aussi c’est la nécessité pour les pouvoirs publics de venir en aide au secteur. Non pas par une aide financière mais par une reconnaissance et une collaboration plus étroite et plus formelle. C’est une question de santé publique. Mieux organiser, permettre à ce genre de structure de subvenir à ses besoins, payer des salaires (ils sont tous bénévoles), acheter du matériel, c’est un moyen de réduire la facture des hôpitaux et réduire la mortalité.
Mieux encore, l’école des Dauphins qui accueille de nombreux enfants pour leur apprendre à nager les week-end doit travailler avec le ministère de l’éducation nationale afin qu’au programme de l’enseignement figure la natation. Il est aberrant que très peu de sénégalais puissent savoir nager dans un pays entouré d’eau. Situation caucasse, les rares écoles qui sollicitent les compétence de Ndiambé Samb et dans lesquelles le club des Dauphins a des contrats, sont Jean Mermoz de Dakar et Jacques Prévert de Saly… deux écoles françaises. Pour le formateur, chaque école pouvait avoir un maitre-nageur et apprendre à ses enfants la natation. Il est persuadé qu’organiser ce genre de programme n’est pas difficile. Autre cocasserie, diplômé de plongée, Ndiambé aurait aimé ouvrir une école pour son pays mais son savoir dit-il ce sont des étrangers qui viennent le prendre.
« Chaque année des étrangers viennent se former chez moi en plongée et repartent exercer dans leur pays. Au Sénégal, le manque de soutien pour ce genre d’initiative est inqualifiable » déplore-t-il.
Coach Ndiambé ne court pas derrière l’argent ou les médailles. Les dix mille francs que le club demande mensuellement et que les élèves donnent de façon irrégulière, ne comblent pas les dépenses liées au matériel qui sont souvent très élevées. Outre le fait de voir les gens guérir, d’offrir des fournitures scolaires aux enfants des écoles de Ngor et de soutenir les mosquées, grâce au Aquathon organisé annuellement, l’une de ses satisfactions est que son expertise est reconnue mondialement. Il est d’ailleurs désormais associé et invité aux événements internationaux concernant l’aquagym où il représente son pays. C’est grâce à son activité que le Sénégal est à la 7eme place du classement des pays dont l’aquagym est cité en référence. Toutes ces aspects sont des sources de motivation et de joie pour Ndiambé. Enfin, sa plus grande satisfaction, nous souffle-t-il, ce sont les relations sociales qui se tissent dans son école.
« Des centaines de personnes se sont soignées à l’école des Dauphins. En plus de cela, les retrouvailles entre amis qui s’étaient perdus de vue ou parents qui étaient en conflit, sans oublier les hommes qui ont rencontré leurs épouses ici et donc les mariages qui s’y sont célébrés, on ne peut que rendre grâce à Dieu. Les relations et les amitiés qui se créent dans cet endroit cela n’a pas de prix. Cela nous renvoie à notre fragilité et à notre humanité. » conclu avec plein de sagesse le professeur.
Le temps file et la plage bondée, il y a peu, se vide petit à petit. La séance de gym prend fin et certains se ruent sur les vendeuses de feuilles de menthe qui viennent tôt le matin profiter de ces clients un peu spéciaux. Il est aussi temps pour moi de prendre congé de mon hôte. Le soleil brille déjà. Les premiers baigneurs et promeneurs prennent possession de la plage. On reviendra demain. Ma séance d’aquagym d’une trentaine de minutes (Oui, oui j’ai testé pour vous le sable et la mer) m’a épuisé. La journée sera tonique…
Contacts du Club des Dauphins Plage de Ngor:
Fixe:33- 868-37-01
Portable: 77 640-46-54 ,
Portable: 77-126-75-75
Mail: dauphinmns@gmail.com
Merci de nous avoir gratifies d’un article aussi bien rédigé ! Cela n’arrive plus souvent de commencer à lire un article et d’avoir envie d’aller jusqu’à la fin.
Bravo pour ce magnifique reportage sur l’aquagym à Ngor.
La véracité des informations est indéniable.
Une dauphine.
Je suis agreablement surprise et tres intéressée j ai hate de commencer.