Hollande face à deux Afrique :l’une glande, l’autre gronde

Ce texte du Docteur Moussa Sow publié le 16/10/ 2012 à la veille de la première visite de François Hollande alors président de la republique française garde toute son actualité.

Pour l’universitaire sénégalais, la première visite africaine du président Hollande a mis en lumière deux Afrique. L’une, proche des réseaux de la Françafrique applaudit Hollande, l’autre, souvent jeune, bouillonne de colère.

Hollande face à deux Afrique :l’une glande, l’autre gronde, Information Afrique Kirinapost

La visite de François Hollande nous permet d’observer et de déduire qu’il se trouvait face à deux Afrique, deux éléments d’une pensée binaire. La première est articulée dans le discours du président de l’Assemblée nationale du Sénégal, et offre l’image d’une Afrique ankylosée par le passé et nostalgique des quatre communes [période coloniale], pour être caricatural, qui voudrait conserver ses privilèges de voyage en métropole. Elle rappelle combien elle connaît les rues de Paris et les amphithéâtres de la Sorbonne.

Parallèlement à cette Afrique qui glande, obnubilée par la France, il y a surtout une Afrique jeune aux voix pour l’instant peu audibles dans leur volonté de rompre avec une certaine image de la France providentielle qui les sortirait de l’ornière. Si la première semble être satisfaite du discours de Dakar, la deuxième reste sur sa faim.

Avec cette première visite de François Hollande à Dakar, son discours devant les députés du peuple – bien que ponctué de respect et d’amitié, marquant ainsi une rupture avec son prédécesseur – reste sur le fond profondément professoral. On ne peut en aucun cas faire une lecture critique de ses propos sans se désoler, d’abord et avant tout, qu’une partie de son auditoire africain se retrouve dans ce message. Une Afrique qui semble toujours avoir besoin de messies qui viennent lui dire qu’elle est respectable, qu’elle doit avoir confiance en elle-même, engourdie qu’elle est dans un incorrigible défaut d’estime de soi, incapable de croire en son génie et en son potentiel.

Tout se passe comme si elle ne retrouvait sa fierté, mal placée du reste, que lorsqu’un chef d’état étranger lui dit qu’elle est l’avenir du monde grâce à son taux de croissance enviable et à la jeunesse de sa population. Avons-nous vraiment besoin d’attendre d’entendre ces vérités que seule cette Afrique a du mal à croire ? L’Afrique a-t-elle besoin de la visite du président français pour se convaincre qu’elle est suffisamment entrée ou pas dans l’histoire, ou qu’elle est le berceau de l’humanité ? La réponse est évidemment non !

Inutile de dire qu’il n’était pas nécessaire que le président Hollande dise grand-chose pour satisfaire cette première Afrique qui glande, envoûtée qu’elle est par les sirènes de la France.

Le nouveau président français est venu lui redonner confiance, lui dire que la délivrance de visas pour aller en France sera facilitée pour les étudiants et autres artistes. Mais cette Afrique, attachée à la France, a-t-elle bien entendu le véritable motif pour satisfaire sa plateforme revendicative ? Car, c’est dans l’intérêt de la France que ces décisions seront prises, et non par générosité. Que les artistes et autres universitaires se le tiennent pour dit, ils sont des pourvoyeurs de service dont la France a besoin.

Cette même France – ainsi que l’Europe vieillissante – pourrait également solliciter un jour les services de la jeunesse africaine… éduquée. En résumé, l’immigration restera choisie. Voilà, des réponses légitimement intéressées aux demandes peu ambitieuses de nos députés face à un président français venu chercher des marchés pour les entreprises de son pays. Le président français est également venu s’assurer que l’insécurité du nord du Mali ne déborde pas jusqu’à envahir l’Europe. Accordons-nous au moins sur un point : le président français a défini les intérêts de son pays et est venu les défendre en terre africaine, soucieux de faire une place à ses entreprises quand les Indiens et les Chinois dament le pion à la France dans les investissements en Afrique.

Une Afrique qui s’impatiente

Cependant, face à cette Afrique tournée vers la France, il y a une autre Afrique, qui, celle-là, s’enracine dans la sagesse et les enseignements d’Ahmadou Bamba [penseur soufi, inventeur d’un islam nègre] et d’Anta Diop [historien qui a inspiré l’afrocentrisme], qui ne nourrit aucun complexe vis-à-vis de la France où même du monde arabe. Pour cette Afrique-là, les vrais intérêts de sa population jeune sont pour l’instant mal posés, donc mal définis.

L’Afrique jeune qui gronde d’impatience est celle-là qui intime l’ordre d’entrer non pas dans l’Histoire mais dans l’avenir, pour maîtriser notre destin. Nous n’avons plus besoin de nous fossiliser dans le passé à moins que ce soit pour y puiser les ressorts psychologiques qui nous permettent d’investir avec assurance notre détermination. L’heure est venue pour nos politiques de poser les vraies questions qui concernent l’avenir de sa jeunesse, s’il est vrai que l’Afrique est porteuse de l’espoir du monde grâce à ses ressources humaines et naturelles.

Les universités françaises ne sont pas les seules qui peuvent développer l’Afrique et enrichir sa jeunesse !

Cette jeunesse a une palette de choix quant à son éducation. Si la France refuse le visa aux étudiants africains, pourquoi ne se tourneraient-ils pas vers l’Afrique du Sud, le Nigeria, pour consolider les intérêts d’un destin panafricain commun ? Ce ”paradigm shift” [révolution conceptuelle] nous permet de regarder vers les Etats-Unis, l’Inde et le Brésil qui nous ouvrent les portes de leurs universités. Il s’y ajoute que, stratégiquement, notre jeunesse a besoin d’aller étudier dans les pays émergents afin de revenir adapter ces modèles de développement en Afrique.

Le président du Rwanda Paul Kagame a compris les enjeux économiques du XXIe siècle en mettant son pays à l’anglais, et le Gabon a pris la décision de suivre cet exemple. Beaucoup de Français qui ont les moyens mettent leurs enfants dans des écoles bilingues, conscients qu’ils sont de la dimension linguistique de la mondialisation.

La France n’est pas l’avenir de l’Afrique 

La repentance de la France concernant la traite négrière et la colonisation n’est utile à l’Afrique que si celle-ci utilise ce passé tragique aujourd’hui reconnu pour exiger toute sa place dans la construction de l’avenir du monde. La vérité est que l’Afrique a assez payé du sang de ses enfants pour la paix du monde et possède de ce fait un droit historique à s’asseoir à la table où se décide la paix ! Ainsi, la véritable exigence consiste à ce que l’Afrique se fasse une place au Conseil de sécurité des Nations unies. Il est absurde que des résolutions qui la concernent souvent puissent être prises sans qu’elle soit architecte de leur élaboration.

L’heure est venue d’arrêter les querelles futiles afin que tous les Etats africains soutiennent les demandes de l’Afrique du Sud et du Brésil pour un siège au Conseil de sécurité.

Voilà plus de cinquante ans que la France porte la voix de l’Afrique francophone dans le concert des nations. L’heure est venue que cette Afrique parle par elle-même et pour elle-même. C’est une question de justice historique, démographique et économique.

L’Afrique est aujourd’hui économiquement attractive, elle doit en tirer pleinement profit.

Il est plus que temps que les chefs d’Etat africains francophones, forts de leur légitimité démocratique, aient le courage de revisiter la politique monétaire de la zone CFA [franc des “colonies françaises d’Afrique” et aujourd’hui franc de la “communauté financière africaine”], afin que l’Afrique entre dans une nouvelle dynamique monétaire.

Et si les entreprises françaises veulent retrouver une place privilégiée dans les investissements en Afrique, elles ont besoin de convaincre que leur offre est plus intéressante que celle des Indiens et des Chinois. L’heure est à la concurrence !

 

 

 

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Longtemps professeur de littérature africaine aux États-Unis, Docteur Moussa Sow est depuis quelques années enseignant chercheur aussi à l'université Gaston Berger de Saint-Louis. Panafricaniste, féru de questions géostrategiques, Moussa Sow chronique sur Kirinapost.

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