Thiaroye, le massacre de 1944

Il y a 74 ans jour pour jour, le 1er décembre 1944 à Thiaroye, près de Dakar, l’armée française ouvrait le feu sur des tirailleurs sénégalais ayant combattu pour la France. Pour légitimer cet acte odieux, la France le qualifiera de mutinerie et parlera des incidents de Thiaroye, pour ne pas dire massacre.

L’histoire de ces soldats est simple : ils ont combattu pour la France pendant la Seconde Guerre Mondiale en Europe. Suite à la débâcle de juin 1940, ils avaient été fait prisonniers. Démobilisés, ils débarquent pour Dakar le 21 novembre 1944, avec la promesse de recevoir, en plus de différents pécules et primes, le rappel de solde de captivité différent suivant les situations d’ancienneté ou de grade. Des sommes importantes qui auraient pu soutenir ces tirailleurs, originaires pour la plupart des zones rurales maliennes (Soudan français), sénégalaises, guinéennes, béninoises (Dahomey), tchadiennes, ivoiriennes, togolaises, gabonaises et centrafricaines. On connaît la suite.

Martin Mourre, historien et docteur de l’EHESS, dont la thèse de doctorat est éditée aux PUR autour de l’affaire de Thiaroye et de ses échos dans la société sénégalaise, a été interrogé par le journal Libération. Il n’y a pas de mot pour qualifier ce qui s’est passé.

 » Le 27 novembre 1944, un premier contingent de plus de 500 hommes doit quitter en train le camp à destination de Bamako et des colonies du Sud. N’ayant pas été payés, ces hommes refusent de partir. Cela occasionne la visite, le lendemain, du général Dagnan. Marcel Dagnan est le général de la division Sénégal-Mauritanie. En l’absence du général de corps d’armée Yves de Boisboissel, qui a en charge toutes les troupes de l’AOF, et en l’absence du gouverneur civil, Pierre Cournarie, Dagnan est le plus haut responsable français présent. Que se passe-t-il lors de la visite de Dagnan au camp ? Celui-ci, selon ses dires, estime qu’il a failli être pris en otage par les tirailleurs. Peut-être a-t-il été bousculé, les archives sur ce point restent lacunaires. Cela semble insupportable pour cet officier supérieur. Le soir même il décide de monter une opération de répression, que de Boisboissel et Cournarie valident bientôt. Ce matin-là, on réunit les tirailleurs sur l’esplanade du camp. Des tirs provenant d’armes automatiques partent, occasionnant des dizaines de morts, peut-être même des centaines. Si ce bilan concernant le nombre de tués est aussi imprécis, c’est que, dès qu’il advient, l’on est en face d’une véritable tentative pour camoufler cet événement – ainsi le nombre de soldats présents à Thiaroye ce jour-là varie dans les différents rapports de 1200 à plus de 1600, ce qui semble assez inconcevable dans une institution comme l’armée. »

Le Général de Gaulle, qui dirigeait le gouvernement provisoire, ne condamna jamais ces évènements, même si aucun élément n’a pu être trouvé l’impliquant directement.

Il faut attendre 2014 pour voir un Président de la République française poser des actes concrets sur Thiaroye, en remettant à son homologue sénégalais les archives sur cet épisode douloureux. Il aura par la suite aussi des mots forts.

« Les événements qui ont eu lieu ici en décembre 1944 sont tout simplement épouvantables, insupportables. Je voulais réparer une injustice et saluer la mémoire d’hommes qui portaient l’uniforme français et sur lesquels les Français avaient retourné leurs fusils, car c’est ce qui s’est produit. Ce fut la répression sanglante de Thiaroye » , dira Francois Hollande.

Franchement, il faut le dire : la France fait des efforts dans la reconnaissance de ce massacre et les quelques avancées sur Thiaroye 44 viennent d’elle. Du coté africain, sénégalais en particulier, que faisons-nous de nos mémoires, de notre passé ? Pardonner oui, mais jamais oublier. Dans la construction de son avenir, le continent a besoin de faire son devoir de mémoire. Malheureusement, les autorités ne l’on pas assez saisi. Par exemple, le Chef de l’État sénégalais Macky Sall a posé des actes en total décalage avec la douleur de ces évènements. Il a cautionné une place Europe à Gorée et s’est réjoui des desserts que l’on offraient aux soldats d’origine sénégalaises lors de la Seconde Guerre Mondiale. Plus gave, alors que le  11 Novembre dernier, Macky Sall se rendit en France pour les commémorations de la fin de la première guerre mondiale, le 1er décembre, jour-souvenir du massacre de ces valeureux soldats, il passe allègrement devant Thiaroye et son cimetière sans sourciller pour se rendre à son congrès d’investiture, qui se tenait à  Rufisque non loin de là. Il aurait pu choisir un autre chemin ou une autre date.

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