THIAROYE 44: PISTES ET ECLAIRAGES JURIDIQUES (PART III)

Rappel: Le 1er décembre 1944, Il y a 77 ans, avaient lieu les événements de Thiaroye. Durant les années 1985 à 1989, j’avais été impliqué, dans une affaire Thiaroye devant la Justice Sénégalaise, qui avait défrayé la chronique á l’époque. Je représentais le cinéaste Ben Diogaye Beye, actuel Doyen des cinéastes Sénégalais, dans un procès contre la Société Nationale de Production Cinématographique (SNPC). Ben Diogaye Beye, avait co-écrit avec l’écrivain Boubacar Boris Diop, le scénario d’un film long métrage sur les événements de Thiaroye, intitulé « Thiaroye 44 ». Le scénario du film fut sélectionné, après compétition nationale, par le Comité de Lecture de la SNPC, et la production avait débuté, après la conclusion d’un contrat de cession du scénario, quelques prises de vue, la sélection d’acteurs, de décors, etc…

ELEMENTS NOUVEAUX POUR UNE REVISION DU PROCES DE MARS 1945

De récents travaux historiques, des courriers officiels et des témoignages attestent d’hommes injustement tués, et de la condamnation d’innocents, Des informations récentes, remettant en cause bien de certitudes, la moindre n’étant pas la découverte qu’il y avait une différence de 400 personnes entre le nombre de soldats qui avaient embarqué á Morlaix, et ceux qui avaient débarqué á Dakar, via Casablanca.

Dans une fameuse déclaration en 2014, le President Hollande avait fait état de 70 morts, contredisant ainsi la version officielle de 70 morts.Dans une lettre adressée à Armelle Mabon en date du…le Ministre des Affaires Etrangères de la France a admis que les faits horribles de Thiaroye constituaient un “massacre”.

Dans les motivations passées inaperçues d’une récente Décision rendue en France, date du 14 décembre 2015, la Commission d’instruction de la Cour de révision et de réexamen, bien qu’ayant rejeté la requête d’un ayant droit, avait estimé: “qu’il ne ressort pas des pièces de la procédure que les revendications financières des tirailleurs rapatriés étaient illégitimes ; qu’en particulier, l’acte d’accusation, qui ne reflète au demeurant que la position de l’autorité remplissant les fonctions de ministère public auprès du tribunal militaire, ne fait état que du versement d’avances sur solde payées avant leur embarquement à Morlaix ou pendant la traversée”.

Ces aveux officiels et développements récents constituent d’importants et probants faits nouveaux à même de justifier la révision du procès de mars 1945 ayant conduit à la condamnation de 34 soldats Africains faussement accusés de rébellion et d’outrage.

QUALIFICATION DES FAITS INCRIMINES

Si les actes criminels ci-dessus décrits avaient été perpétrés par l’armée française á l’encontre de prisonniers de guerre nazi, il s’agirait ni plus, ni moins que de crime de guerre. En effet, selon le statut du Tribunal de Nuremberg établi en 1945, constitue un crime de guerre, “l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre”.

Mais ce qui s’est passé aussi bien á Morlaix qu’á Thiaroye est pire qu’un crime de guerre, même si, par ailleurs, on pourrait soutenir que ces soldats Africains étaient des prisonniers de guerre, puisque prisonniers des Allemands en territoire français, ,et sous la garde des forces françaises, ils sont restés prisonniers des Français sur le même territoire français, n’ayant été ni rétribués ni rapatries.

Plusieurs délits et crimes sont á relever dans ces deux affaires, Morlaix et Thiaroye, qui n’en font, en fin de compte, qu’une seule:

– Abus de confiance

– Sequestration

– Traitements humiliants et dégradants.

– Trahison

– Exécution extra-judiciaire

– Assassinat

– Crimes de guerre

– Crime contre l’humanité On parle aussi de destruction et de falsification d’archives, d’inhumation illégale, donc

d’obstruction et de déni de justice.

Abus de confiance

Le délit est constitué dés lors qu’une partie á un contrat, ayant bénéficié de la contrepartie convenue, refuse, malgré mise en demeure, de remplir ses obligations vis a vis de l’autre partie contractante. Il peut en conséquence être valablement soutenu que les soldats Africains ont été victimes d’abus de confiance de la part de l’Etat Français.

Sequestration

Elle a eu lieu lorsque les soldats Africains qui étaient restés á Morlaix pour percevoir leurs dus, ont été retenus contre leur gré, sans aucune condamnation judiciaire, dans des camps entourés de barbelés, sous la garde des forces armées françaises, comme au temps de leur détention dans les Frontstalags. Torture et Traitements Inhumains et Dégradants C’est la Convention contre la Torture et les Traitements Humiliants et Dégradants qui peut ici être invoquée. Par « torture », on entend le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle; l’acception de ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles .

Trahison

Ce qui distingue Thiaroye et Morlaix de tous les autres cas horribles de crimes commis par les forces alliées, c’est que les victimes sont tombées sous les balles tirées de supposés frères d’armes, ajoutant ainsi au massacre une dimension de trahison. Le fait, pour des soldats de l’armée Française de porter des armes contre des soldats de l’armée Française originaires des Colonies, donc contre la France, alors que la fin de la guerre n’était pas encore achevée, constitue une trahison. La trahison est un crime sérieux, puni de la réclusion criminelle à perpétuité.

Exécutions extra-judiciaires

Vu l’absence de procès, ou de jugement de condamnation

Assassinat

L’assassinat est le meurtre commis avec préméditation. Du 5 Novembre 1944 à Morlaix au 1er Décembre 1944 à Thiaroye, il y a eu beaucoup d’actes de préméditation.Et le rapport introuvable ou détruit du General Dagnan rédige la veille du massacre pourrait constituer la preuve de l’existence d’une préméditation.

Les massacres de Morlaix et de Thiaroye n’étaient certes pas des actes gratuits, ou des actes de légitime défense. Il s’est agi dans les deux cas d’attaques armées planifiées sur des soldats alliés désarmés. Les deux autre crimes sur la base desquels des poursuites peuvent être envisagées contre l’Etat Français sont encore plus sérieux, car , d’une part ils sont imprescriptibles, et d’autre part, ils constituent, à côté des crimes de Génocide, et d’Agression, deux des quatre piliers du Droit Pénal International positif, dont les prémices furent jetés lors de la Conférence de la Haye, convoquée en 1899 á l’initiative du Tsar de Russie, chantier complété par le Statut de Nuremberg de 1945, les Conventions de Genève de 1949, jusqu’au Statut de Rome de 2002.

Crimes de Guerre

Aux termes du Statut de 1945 du Tribunal de Nuremberg,, constitue un crime de guerre  » l’assassinat ou mauvais traitements de prisonniers de guerre ». Selon l’Article 8 du Statut de Rome on entend par « crimes de guerre » :

a) Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des Conventions de Genève :

i) L’homicide intentionnel ;

ii) La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;

iii) Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter gravement

atteinte à l’intégrité physique ou à la santé ;…

vi) Le fait de priver intentionnellement un prisonnier de guerre ou toute autre personne protégée de son droit d’être jugé régulièrement et impartialement ;

vii) La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ;

Selon une certaine théorie, les faits criminels commis á l’encontre des soldats Africains entre le 5 Novembre 1944 et le 11 Novembre 1944 á Morlaix, puis le 1er Décembre 1944 á Thiaroye, à savoir les actes de séquestration, de mauvais traitements, de trahison voire d’assassinat de frères d’armes démobilisés et désarmés, ne sauraient être qualifiés de crimes de guerre , car les victimes n’avaient pas le statut de prisonniers de guerre au moment des faits. Cette théorie me parait fort contestable, car, en réalité les soldats Africains n’avaient jamais joui de leur entière liberté, ni de leurs indemnités, et. N’avaient pas été dument démobilisés et rapatries.

En tout état de cause, seule une Cour de Justice peut dénier ce statut a celui qui s’en prévaut..

Crime contre l’Humanité

Il y a certainement la possibilité d’invoquer le crime contre l’humanité. En effet , selon le statut du Tribunal de Nuremberg de 1945, constitue un crime contre l’humanité « une violation délibérée et ignominieuse des droits fondamentaux d’un individu ou d’un groupe d’individus inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux. »

Une critique faite au Tribunal de Nuremberg était qu’il s’agissait d’une justice de vainqueurs, car des infractions graves aux lois de la guerre avaient été aussi commises par les forces alliées contre des prisonniers de guerre des forces ennemies. Comme le massacre survenu dans la forêt de Katyn, commises par les forces soviétiques contre des prisonniers de guerre Polonais.

Contrairement à la Charte de Nuremberg, le Statut de Rome n’exige aucun lien entre les crimes contre l’humanité et un conflit armé. Le fait que le crime soit commis en temps de paix ou de guerre n’influe en rien sur la gravité du crime.

Les soldats Africains dits Tirailleurs Sénégalais de Morlaix et Thiaroye constituaient un groupe ethnique homogène de 2000 personnes de race Noire, tous originaires de territoires sous domination coloniale, tous âgés de moins de trente ans, presque tous Musulmans. tous venus au secours de la France. Surtout, ces combattants aguerris et décomplexés de la liberté, étaient perçus comme des menaces pour le futur du bien-entre et de la mystification. Colonialistes. .

Compte tenu du caractère imprescriptible des crimes commis par la France, leur négation de ne peuvent que faire trainer, mais non étouffer l’éclatement de la vérité advitam aeternam..

Je n’aborderai pas la question du ”blanchiment”, qui n’est pas, a ma connaissance, une qualification juridique criminelle. D’ailleurs je ne suis pas suffisamment versé sur la question. Sauf à rappeler que le droit pénal international reconnait bien dans sa nomenclature, le crime de Nettoyage Ethnique, dont des indices pourraient effectivement être recherchés dans les crimes de Morlaix et Thiaroye, et dans le contexte plus large de l’héroïque participation des troupes des colonies dans les deux guerres mondiales. suivre...)

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Bara Diokhané est avocat à la cour de Dakar et au barreau de New-York. Passionné d'arts, il est une figure de l'environnement culturel dakarois. Proche d'artiste comme Joe Ouakam ou du cinéaste Jibril Diop Mambety, Bara Diokhané est aussi un collectionneur. Spécialiste du patrimoine et de la gestion des objets culturels, a été commissaire de plusieurs expositions tant au Sénégal qu'aux Etats-Unis. Artiste-peintre, il est également réalisateur de deux films documentaires, l’un sur l’artiste Sénégalais Issa Samb alias Joe Ouakam ( “Si l’arbre parlait” 2018), l’autre sur l ‘Africain-Américain Randy Weston, pianiste-compositeur de jazz (Randy Weston, un Africain né en Amérique, 2021). Les analyses de ce juriste chevronné et artiste au long cours sont sur kirinapost.

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