REgards sur la 15 éme édition du Festival Cinéma d’Afrique de Lausanne

La 15 éme édition du Festival Cinéma d’Afrique de Lausanne a vécu du 18 au 22 Aout 2021. Le public suisse a pu regarder une trentaine de films, court et long métrage, qui traitent des réalités de l’Afrique et de ses diaspora. Parmi ces films quatre sont venus du Sénégal. Un long « Baamun Nafi » de Mamadou Dia, et trois court « Tabaski » de Laurence Attali, « Ser bi » de Molly Kane et « 5 étoiles » de Mame Woury Thioub le seul que je n’ai pas vu, parce qu’absent de Lausanne le jour de sa projection. Au-delà des films sénégalais, j’ai eu un coup de cœur pour un film « Eyimofe/Ceci est mon désire » des frères jumeaux nigérians Ari et Chuko Eseri. Ce film et Tabaski de Laurence Attali feront l’objet de mon prochain article. 

 

Le long métrage sénégalais « Baamun Nafi – Le père de Nafi» plusieurs fois primé dans le monde traite du terrorisme au Sénégal. Peut-être que l’auteur veut nous alerter par anticipation puisqu’une histoire telle que celle racontée dans le film n’est jamais (encore) arrivée au Sénégal. Il est écrit et réalisé par Mamdou Dia. J’insiste sur le « ECRIT ET REALISE » parce que la réalisation est faite avec beaucoup de maitrise mise à part quelque détails liés à la temporalité du récit qui au-delà de ce film reste encore l’un des grands problèmes du cinéma africain. Mais les quelques passages du film qui peuvent parfois empêcher de nous situer temporellement dans la narration ne sont pas de nature à impacter la compréhension de l’histoire.

L’emplacement de la caméra tout au long du film prouve à ne point douter du grand sens de la scène de l’auteur. Le jeu très juste des acteurs (de surcroit des non professionnels) témoignent de la grande capacité de Mamadou Dia à diriger et à tirer le meilleur de ses comédiens. En plus du jeu, les costumes ont beaucoup contribué à rendre crédibles les personnages. Le côté digeste du film tient beaucoup à la tenue des rôles et au casting, sauf peut-être celui du second personnage, mais en partie seulement. Parce que comme personnage débonnaire et soumis à la volonté de son père, le rôle est bien tenu. Mais en tant que quelqu’un qui compte sur la danse pour sa réussite sociale, il n’est pas (loin de là) convaincant. Il ne nous entraine, ni par une passion dévorante de la danse (comme l’histoire le réclame), ni par ses talents (dont le film ne lui a laissé que très peu de tranches pour l’exprimer). Toutefois si on sait lire entre les lignes, on comprend aisément, que la danse est choisie ici juste comme une arme de destruction massive des ‘’archaïsmes qui minent ‘’ la société foutanké, surtout s’il vient d’un Torodo (caste supérieure du Fouta) comme Mamadou Dia.

Dans ce film il fait preuve d’une grande sensibilité, d’une grande capacité d’observation, de réels talents de metteur en scène et de réalisateur. Il devient d’autant plus méritant qu’il a fait le film avec peu de moyens. En Afrique quand un réalisateur dit qu’il a fait son film avec peu de moyens, c’est qu’il l’a fait avec très très peu de moyens. Dia semble ne pas prendre encore la mesure de tout son potentiel, hélas par moment il préfère étouffer ses sentiments pour emprunter ceux d’autres, notamment au niveau de la musique du film, dont l’usage m’a paru un peu excessif par moment, surtout la musique de Baaba Maal. Le film à mon avis souffre par moment du fait que Dia a fait avec Baaba Maal au lieu de faire comme Baaba Maal.

Baaba Maal installe un bout assez représentatif du Fouta sur toutes les scènes du monde. On voit le Fouta à travers le décor de la scène et les costumes des musiciens. On entend à côté de la musique avec le clapotis du fleuve, la voix des enfants en allégresse, les coups de pilons des femmes, le beuglement des vaches, les bêlements des moutons et des chèvres. On entend le son du vent propre de l’aridité de la terre du Sahel, etc…. Et dans le film, à mon sens, il fallait juste à la place (d’une bonne partie) de la musique, laisser ces voix s’exprimer. Ces voix qui font de Baaba Maal, plus qu’un musicien, un colporteur d’univers humain, sonore et visuel. Ici l’esthétique du film, son originalité, et son intensité dramaturgique, réclamaient qu’on leur laisse fasse plus de place.

L’écriture reste le ventre mou du film. Écriture pas dans le sens de l’étymologie du mot cinématographe, qui veut dire écrire avec des images, mais plutôt dans le sens de l’idée que développe le film.

En général, au niveau idéel, les films africains surtout quand ils développent des thèmes sociétaux ou liés à la guerre, au terrorisme, à la misère, ils deviennent juste des articles élargis de journaux télévisés occidentaux. Beaucoup de paramètres surtout liés à la diachronie des problématiques traitées sont laissées en rade, par ignorance (ce qui disqualifie leur auteur) ou exprès pour fouetter l’égo d’un monde occidental sûr de son fait. Mamadou Dia est certes sincère, mais ses omissions sont énormes.

L’histoire se passe dans une ville sénégalaise où se déroule régulièrement des élections pour élire un Maire, et apparemment c’est des élections transparentes. Le Maire en fonction a une villa avec piscine dans la ville, il a une grosse cylindré. Il y a un lycée dans la ville, parce que l’actrice principale vient juste de décrocher son baccalauréat. Il y a aussi un dispensaire, où un poste de santé peut être même c’est un hôpital dans la localité. Le film commence là-bas. Il devient grandement incompréhensible alors comment dans un tel endroit, il n’y a pas l’ombre d’aucune force de sécurité, pas de police, pas de gendarmerie, encore moins une armée, même pas en allusion.

Le représentant de l’Émir des terroristes dans le village/ville reçoit beaucoup d’argent de son mentor et mise beaucoup sur la corruption pour rallier les populations surtout ceux qui fréquentent la mosquée. Par la suite il reçoit un émissaire de l’Émir qui arrive avec plus d’argent encore, des armes et des lois. Ceci révèle l’absence de renseignements généraux, ou alors ils n’ont pas fait leur travail.

L’autre incongruité (mais de taille) dans le film est l’absence totale de daara (centre de transmissions de savoirs islamiques) dans un film qui parle (certes indirectement) de l’Islam, au Fouta qui est le premier centre de réception et de diffusion de cette religion au Sénégal.

Le cinéma et l’art de manière générale font beaucoup dans le raccourci et l’essentialisation, je le comprends, mais le cinéma (d’auteur surtout) est surtout vraisemblance.

A l’heure actuelle le terrorisme (surtout lié à l’Islam) fait partie des sujets les plus délicats au le monde. En parler correctement exige beaucoup de recul et de lucidité, ainsi que la prise en compte de beaucoup de paramètres d’ordre politique, économique, géostratégique, historique, sociologique, sociétal, religieux….

Il me semble que Mamadou Dia malgré son grand talent, et sa bonne volonté au lieu de s’immerger dans ce magma qu’est le ‘’TERRORISME’’ pour ressortir avec un discours qui tient compte de toute la complexité de la question, a juste surfer sur une vague clivant qui contente une idée largement partagée et véhiculée par les puissances occidentales.

Une foi à la sortie de la salle, une dame qui m’avait demandé son appréhension sur un film qu’on venait de voir me dit ceci : « ma fille devait aller au USA pour un stage. Il fallait tout d’abord lui trouver une famille similaire à la nôtre. Quel fut grand son choc et sa déception au moment de son départ, elle devrait se retrouver en Alaska. Elle pour qui les USA se résume à Washington et New York etc… c’est-à-dire l’imaginaire qu’elle s’était faite des USA à cause du cinéma ».

Pour dire comment l’imaginaire des uns et des autres, des uns par les autres est bâti et ou consolidé par le cinéma et la télévision. Elle rajouta « mais ma fille est revenue totalement bluffée par son séjour en Alaska ». Pour dire combien aussi le monde attend pour sa santé mentale des alternatives à la fructueuse industrie du consensus. Les intellectuels et cinéastes africains surtout sont très attendus pour la production d’idées et d’idéaux alternatifs.

 

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