CESSONS D’INFANTILISER LES MALIENS

François Hollande qui rend hommage aujourd’hui à IBK après son décès, déclare : « Il connaissait les auteurs français bien mieux que bien des dirigeants de mon propre pays. Il avait un maniement de la langue qui était assez exceptionnel et il avait même une capacité à conjuguer les verbes au subjonctif »😀.

Il faut tout de même rappeler que IBK (paix à son âme) a été humilié à plusieurs reprises, y compris dans son propre pays.

Emmanuel Macron, fraîchement élu comme président de la France, avait consacré sa première visite en Afrique au Mali. Il était venu voir non pas les autorités maliennes, mais les troupes françaises de la base militaire de Gao, engagées dans l’opération Barkhane.

Son avion atterrit non pas à Bamako, mais à Gao. Il « convoque » le président IBK, qui doit se déplacer pour aller le rencontrer sur la base militaire française.

Tu viens dans mon pays et tu me convoques sur une base militaire étrangère !! Quand on vous dit que les relations entre la France et l’Afrique francophone relèvent de l’irrationnel.

La France a empêché IBK de déployer l’armée malienne à Kidal et elle a obligé le Mali à négocier avec les terroristes. On « nous oblige, disait IBK, à négocier sur notre sol avec des gens qui ont pris des armes contre l’État […]. L’État malien est contraint de négocier avec un groupe armé qui s’en vante, dans quelle commedia dell’arte sommes-nous? […] L’armée malienne a été empêchée de retourner à Kidal, pourquoi? »

La France s’oppose à la réunification du Mali. C’est IBK qui raconte toujours : « Pourquoi la France, par exemple, a-t-elle donné l’impression de bloquer la situation en faveur du MNLA ? D’empêcher d’achever la réunification du Mali ? Je ne sais pas, mais j’en suis malheureux, moi dont l’arrière-grand-père est mort pour la France, à Verdun. »

Le même IBK s’interrogeait sur cette fausse « démocratie » que l’on veut imposer aux Maliens et dont les ficelles sont tirées de l’extérieur. Selon lui, c’est l’État postcolonial qu’il faut réformer.

« Il faut revoir, disait-il, cette démocratie que l’on avait tant vantée, mais dont les événements de l’année dernière ont montré le vrai visage. Il faut refonder un État digne de ce nom. À ce sujet, j’ai souvent dit que nous avions tous péché, par paresse intellectuelle ou par manque de courage. Il fallait revoir l’État postcolonial, plutôt que d’enfiler des chaussures faites pour d’autres. Cela nous a valu bien des déboires. »

Ces regrets tardifs ne doivent pas nous empêcher de pointer du doigt la responsabilité d’IBK lui-même dans la situation actuelle du Mali. Rappelons nous l’épisode Sanogo.

Celui-ci fait un putsch en 2012. Il est responsable de la mort de plus de 20 militaires maliens et de plusieurs exactions. IBK ne condamne pas. La junte finit par céder le pouvoir aux civils. IBK est élu. Il promet à Sanogo le grade de général. Un an après, IBK le met dans une prison 5 étoiles avec l’aide des Français. Sanogo menace de parler. IBK fait tout pour retarder cette prise de parole. Le procès de Sanogo est plusieurs fois reporté. On lui promet finalement des bonbons. Libéré, il est nommé pour réformer l’armée. Un autre gradé putschiste, Sinko Coulibaly, est aussi promu par IBK.

On le voit, les Maliens ont été humiliés pendant des années par leurs propres élites et par la France. La corruption a été érigée en règle de gouvernance.

Si la démocratie est le pouvoir du peuple, le peuple malien soutient en majorité ses dirigeants actuels. Nous devons tenir compte du vaste élan populaire que nous voyons depuis quelques jours au Mali et au sein de la diaspora. Même pour célébrer un but, les joueurs de l’équipe nationale de football exécutent le salut militaire!

On se souvient de la Conférence nationale des années 1990, après la prise du pouvoir par Amadou Toumani Touré. À la suite de la transition, Alpha Oumar Konaré remporte l’élection présidentielle. Le Mali est salué avec le Bénin comme des modèles de démocratie.

Où est passée la vitrine démocratique tant vantée? Des années plus tard, la fragilité de cette démocratie éclate au grand jour. Les assises n’étaient pas solides. Qui disait qu’on ne bâtit pas la démocratie sur du sable?

Le Mali a besoin de temps pour panser ses blessures, vaincre la corruption, rétablir l’intégrité territoriale et asseoir des institutions solides. Le pays ne peut plus se permettre de vivre dans la peur permanente du coup d’État. La CEDEAO et l’Union africaine doivent comprendre cette exigence.

Je suis personnellement pour la consolidation de tous nos organismes intergouvernementaux (CEDEAO, UA, UEMOA, etc.), mais il nous appartient de reconnaître leurs limites actuelles. Ces organismes ont besoin de réformes profondes pour exécuter leur mission en toute indépendance et dans l’intérêt des peuples.

Cessons donc d’infantiliser les Maliens. Ils savent ce qu’ils font. Après tout, c’est leur pays. En juin 1981, après la visite de George Bush père en France, le président François Mitterrand déclare : « Je ne me suis pas posé la question de savoir si ma décision correspondait au désir ou à la volonté de tel ou tel pays, et je ne me la poserai pas. La réaction des Américains, c’est leur affaire; ma décision, c’est la mienne. Plus les décisions de la France seront libres, plus la France sera respectée ».

Prendre librement des décisions et être respecté, c’est tout ce que demandent les Maliens aujourd’hui.

« Les Maliens ne sont pas des enfants », disait le regretté écrivain Seydou Badian, dont les paroles d’il y a quelques années méritent d’être écoutées aujourd’hui.

Pour une fois, écoutons ce que les Maliens nous disent et soyons plus humbles.

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Khadim Ndiaye est philosophe, historien et éditeur sénégalais. Membre du Collectif contre la célébration de Faidherbe, il travaille beaucoup sur les questions de mémoires et celles qui touchent au fait coloniale. Grand militant des langues nationales, Khadim est auteur de: "Le français, la francophonie et nous". Les analyses de ce disciple de Cheikh Anta Diop, élève de Boris Diop et de Souleymane Bachir Diagne sont sur Kirinapost.

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